À propos du vidéogiciel : The Infectious Madness of Doctor Dekker

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jeudi 9 septembre 2021

The Infectious Madness of Doctor Dekker (PS4)

2020

Il s’agit d’un jeu intégralement en FMV (Full Motion Video) dans lequel on « incarne », en vue à la première personne, le psychiatre remplaçant le Docteur Dekker assassiné. La police pense que c’est l’un de ses patients qui a fait le coup, ou bien son assistante Jaya. Il s’agit pour nous de poursuivre l’analyse des patients du Docteur Dekker tout en cherchant le meurtrier parmi les 6 (5 patients plus l’assistante). On ne sort jamais du bureau du Docteur Dekker. La caméra, censée reprendre le point de vue de l’homme qu’on incarne, reste plantée dans le fauteuil du Docteur, face au patient. On ne voit jamais l’homme qu’on incarne, pas plus qu’on entend sa voix. Le jeu est divisé en cinq actes, pour autant de semaines j’imagine.

J’ai commencé le jeu une première fois avec les options par défaut. J’ai découvert le système suivant. Je pouvais appuyer sur triangle pour saisir une question au clavier (virtuel sur PS4, à moins d’utiliser un clavier physique comme je l’ai fait) ; appuyer sur la flèche haut pour faire apparaître une liste de questions à poser directement ; appuyer sur la flèche bas pour faire apparaître un indice après le remplissage d’une petite jauge avec le temps ; appuyer sur la flèche gauche pour revoir les réponses des patients aux questions déjà posées ; appuyer sur la flèche droite pour consulter les notes du personnage incarné ; appuyer sur les gâchettes pour passer d’un patient à un autre à la volée.

Là, je me suis senti perplexe par rapport à ce que le jeu attendait de moi exactement. A quoi sert la possibilité de saisir les questions au clavier si je peux choisir des questions déjà écrites parmi une liste ? A quoi sert la fonctionnalité d’indice si j’ai déjà les questions à poser ?

Après étude de l’écran d’aide du jeu, j’ai compris plusieurs choses. La liste de questions qu’on fait apparaître avec la flèche haut ne sont que les questions permettant d’obtenir les réponses capitales à la progression du jeu. Les questions facultatives sont absentes de la liste.

C’est vrai qu’il y a un système de feu de signalisation sur le nom de chacun des patients, dans chaque acte. Au début le feu est rouge ; quand on a posé toutes les questions nécessaires au scénario, le feu passe orange ; ce n’est que quand on a ensuite posé toutes les facultatives que le feu passe au vert.

Du fait que les questions facultatives sont absentes de la liste des suggestions (flèche haut de la manette) on est donc obligé de les trouver et saisir soit-même si on veut passer un patient au feu vert.

J’ai découvert donc ce système et je me suis dit que quand même, cela faisait beaucoup d’indices et peu de recherche pour le joueur. « Si non seulement j’ai les questions essentielles à poser, et en plus une fonctionnalité d’indice, je vais rouler sur le jeu » me suis-je dit. Alors j’ai fouillé dans les options et j’ai vu un curseur réglant la fréquence des indices. Ce curseur était censé définir combien de temps mettait la jauge d’indice pour se remplir et autoriser au joueur d’appuyer sur la flèche bas pour dévoiler un indice. J’ai mis le curseur au maximum (« insane ») qui équivaut à « pas d’indice ». Cela me semblait être une bonne idée. En plus j’avais vu un trophée pour terminer le jeu sans indice. Cool, me suis-je dit.

J’ai alors recommencé le jeu du début. Comme prévu la fonctionnalité d’indice n’existait plus. Mais ce n’était pas la seule disparition ; la liste des questions (flèche haut) affichait maintenant le message suivant :

You’re insane, remember ? No hints for you.

Je me suis dit « ouah, t’es sérieux ? Cela signifie que je vais devoir saisir toutes les questions ? Ok, challenge accepté ! »

J’ai beaucoup aimé cette idée. En effet je ne voyais pas trop l’intérêt ludique dans le fait de juste cliquer sur une succession de questions. Je me suis dit que cela allait être génial de devoir moi-même formuler les questions et les poser aux patients.

Et j’ai déchanté, pour de multiples raisons.

La première, c’est que pour démarrer et progresser le premier échange, la difficulté est nulle. Je disais « hello », le patient répondait ce qu’il avait sur le cœur aujourd’hui, puis je répétais le dernier mot de sa phrase et il poursuivait. Et ainsi de suite. Il s’agissait seulement pour moi de saisir au clavier le dernier mot de la phrase, même pas une phrase entière bien construite, non, juste un mot-clef, souvent le dernier mot prononcé par le patient, pour qu’il poursuive. Et quand ça ne marchait pas, que le patient me répondait une phrase par défaut du type « cette question n’est pas pertinente », je pouvais, grâce à la flèche gauche, revoir la réponse précédente du patient et découvrir dans les sous-titres, en italique, le mot-clef sur lequel rebondir… La difficulté et l’intérêt de la poursuite d’une discussion entamée était donc nulle.

La deuxième raison pour laquelle j’ai déchanté, c’est que je n’ai fait qu’alterner des moments de jeu triviaux comme ci-dessus avec des moments d’arrachage de cheveux. En effet, quand une discussion donnée est close et que le patient n’est toujours pas orange, cela veut dire qu’il reste d’autres discussions à mener. Et là c’est le drame. J’essayais des dizaines de questions sans que le patient réagisse autrement que par la dizaine de phrases enregistrées lues quand le jeu ne comprend pas la question. Parfois je posais des questions sur des sujets que le jeu n’avait pas prévu et qui me semblaient pourtant pertinents ; parfois je posais des questions en les formulant de telle façon que le jeu ne comprenait pas ce que je voulais dire, parce qu’il est malheureusement ultra tatillon sur les mots-clefs ; parfois enfin, je bloquais légitimement parce que je n’interrogeais pas un patient sur un sujet qui avait fait l’objet d’échanges lors d’un précédent acte (à ce propos, quand on reprend sa partie via le menu principal, un résumé très utile des sujets / mots-clefs importants de chaque patient est joué, sous forme de « précédemment » mais je ne l’ai compris que trop tard). Cette difficulté a été décourageante pour moi. Je n’avais pas la confiance nécessaire dans le jeu pour remettre en question ma pratique et prendre plus de notes, car trop souvent j’avais constaté une sensibilité très mesquine sur la formulation. Par conséquent, quand je bloquais je ne me disais pas « et si c’était un sujet dont je ne me rappelle plus ? » mais « et si c’était ce sujet dont je veux parler mais auquel le patient ne réagit pas à cause de ma formulation ? »… J’ai trouvé cela extrêmement frustrant. J’ai très souvent bloqué sur des problèmes de fomulation.

La troisième raison pour laquelle j’ai déchanté c’est finalement la pauvreté du système de discussion par mot-clef. Il ne s’agissait pas de saisir des phrases, mais juste certains mots-clefs auxquels le jeu va réagir. C'est dommage car taper les réponses au clavier était une riche idée d'interaction… Je ne peux qu'imaginer le résultat en terme d'immersion et d’intérêt ludique si l'on avait eu à formuler des propositions sujet-verbe-complément, mettre en avant des contradictions, faire des liens entre différentes idées avec des connecteurs logiques… Ici on saisit des questions de teubé, voilà la vérité, en saisissant un simple mot, sans ponctuation, majuscule, rien ! Quel gâchis ! Le jeu nous vend pourtant dans son écran d’aide la possibilité de mettre en avant des contradictions, mais la seule fois que j’ai essayé de le faire dans l’acte 1 le jeu n’en a pas voulu…

[Exemple pris sur Steam, j’ai eu le même problème : During the first day, Marianna says that her favourite club is the Pearl because they serve free vodka shots, but when you ask her about alcohol, she says she doesn't drink. This seems like one of those contradictions the game tells you to watch for, but I can't seem to be able to point this out no matter how I try to word myself. Is there some specific phrasing I should use here, or is this something the developers genuinely overlooked?]

La quatrième raison c’est que le système n’est pas du tout immersif. En me butant aux mots-clefs arbitraires imposés par le jeu, je ne me suis pas senti comme un psy face à ses patients mais toujours comme un joueur tentant de déterminer LA phrase que le jeu sera en mesure d’interpréter. C’était tellement décevant… Je trouvais cela génial l’idée de saisir ses questions. Dans la pratique, toutes les réactions naturelles du style « et donc ? », « ok poursuivez », « comment vous vous sentez par rapport à cela ? » sont ignorées. Les développeurs ont pris le parti de laisser le joueur poser n’importe quelle question à tout moment. Le double inconvénient c’est d’une part qu’on peut potentiellement poser une question de début d’échange à la fin, ce qui détruit la logique de la conversation, d’autre part que le jeu n’a aucune notion de contexte ; il ne tient pas compte, ou alors très rarement, de la dernière réponse formulée par le patient. C’est pour cela que saisir « et donc ? » ne sert à rien, car le jeu ne tient pas compte de ce que le patient vient de dire.

J’ai donc navigué entre frustration et ennui de saisir des phrases nominales de un mot ou deux.

Heureusement, les patients sont intéressants et ont tous un mystère. Ils font tous le récit d’une faculté ou d’une expérience flirtant avec le paranormal ; on ne peut pas dire avec certitude s’ils sont complètement fous ou si l’on est dans un Lovecraft. La musique atmosphérique accentue ce doute et cette angoisse. Au fur et à mesure des actes et des récits des patients, le décédé Dekker devient de plus en plus inquiétant et pervers.

Le dénouement m’a mis en colère. Le jeu m’a demandé qui était le coupable du meurtre de Dekker, j’ai répondu Marianna sans être sûr car c’est elle qui me semblait avoir le plus fort mobile et qu’elle devait retrouver Dekker au moment de sa mort. C’était bien elle. Je précise que ce n’est pas un divulgâchis puisque le jeu choisit un coupable aléatoirement au début de chaque nouvelle partie. Bref, je m’attendais donc à ce que le dénouement développe ma proposition et me raconte toute l’histoire, toute la vérité… Rien !

L’acte 5 suggère que mon personnage a violé Marianna chez elle (à mon insu) entre l’acte 4 et l’acte 5… Il est aussi suggéré que mon personnage pourrait être le Docteur Dekker lui-même, ressuscité d’une façon ou d’une autre et a priori avec un visage différent ; aucune explication là-dessus !

Et ces patients dont je me suis demandé tout le long s’ils étaient zinzins ? Ce Bryce poursuivi par une entité sans visage lors de sa 25ème heure toutes les nuits ? Aucune résolution !

Pire, la fin dévoile en coup de vent que mon personnage a été assassiné exactement de la même façon que le Docteur Dekker, sans explication…

Je me suis senti arnaqué, furieux. Toute cette frustration et aussi cette implication dans l’histoire tout de même, pour aboutir à un épilogue bâclé en trente secondes qui ne boucle rien du tout… Honteux. Digne d’un lancer de tomates pourries.

En conclusion, ce jeu m’a énormément déçu. J'ai eu trop souvent l'impression de me battre non pas avec des esprits retors et tourmentés mais plutôt avec une interface inaboutie, qui ne réagit qu'à des mots-clefs bien précis, arbitraires, au mépris de tout bon sens. Les séances avec les patients, prometteuses et inquiétantes, accouchent in fine d’une souris. Je salue néanmoins la réalisation des vidéos et les performances des acteurs. Malgré le lieu unique de tournage, je me suis très vite senti dans ce cabinet de psy.

[Pour info, la fonctionnalité d’indice est surtout utile pour trouver les questions facultatives. Un développeur l’a expliqué à un joueur sur Steam :

Please do hint if you're trying to *see all the things*. A lot of the green (optional) responses are there to cater for weird questions we thought might be asked - so they're like Easter eggs rather than things everyone would think of normally.

De toute façon je n’ai pas cherché à passer mes patients au vert…]

Verdict = dispensable