À propos du vidéogiciel : 50 Cent : Blood on the Sand

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jeudi 9 septembre 2021

50 Cent : Blood on the Sand (PS3)

50 centimes : du sang sur le sable

C'est un TPS classique de cette génération dans sa structure : une succession de niveaux (voire arènes) courts et cloisonnés entre eux, ce qui fait qu'on ne peut pas revenir sur ses pas. Je m'intéresse à la narration et dans ce jeu elle est assez insignifiante.

C'est pas faute de dialogues en quantité et de cinématiques, il y en a et régulièrement. Je dirais presque que le scénario, si on le réduit à son sens cinématographique, est omniprésent. 50 Cent est toujours accompagné d'un acolyte (contrôlé par l'I.A. dans ma partie) et ils conversent gaiement du début à la fin. Il n'est pas rare d'avoir une petite séquence de marche forcée avec des bandes noires en haut et en bas de l'écran pour laisser deviser les personnages tout en nous laissant un semblant de contrôle. Les cinématiques entre les niveaux sont une règle. On n'oublie jamais vraiment qu'on est dans une histoire avec 50 Cent au Moyen-Orient.

Le problème, d'abord, c'est quelle histoire ? Une histoire pathétique, impossible à prendre au sérieux. Le héros et son enjeu (récupérer un crâne de Cristal qui vaut cher) ne sont pas du tout attachants, on combat des mecs par milliers sans aucun souci de cohérence, les méchants font de la peine et sont moches (mal modélisés je veux dire) et pire, le bouquet, 50 Cent se fait mener en bateau comme un idiot du début à la fin. Le traître je l'ai repéré direct et bien sûr la trahison n'a pas manqué, mais 50 ne voit rien venir et fait confiance au type. Sous des allures de gros gangster pare-balles se cache un imbécile.

Impossible à prendre au sérieux parce que l'univers n'a juste aucune crédibilité. C'est pas le royaume des mille et une nuits c'est le royaume des portes de garage à soulever en coop'. Les objets qui barrent le passage ne sont infranchissables par le pur arbitraire des développeurs et pas par une quelconque logique (parce qu'autrement, quand c'est prévu pour, on peut, alors qu'on est à couvert, sauter par-dessus les objets), d'ailleurs leur présence même défie souvent la logique. C'est un univers fait de bric et de broc, une succession d'arènes abstraites séparées soit par des temps de chargements, soit par des portes de garages ou des dénivelés qui impliquent une chute ou une courte échelle (ce qui empêche de revenir en arrière). Ne parlons bien sûr pas de la géographie des endroits qu'on traverse, inexistante, alors même que des grosses portions du jeu (plusieurs niveaux d'affilée je veux dire) sont censées être des randonnées à pied sans ellipses correspondant à des déplacements. L'univers de Blood on the Sand n'a que très très peu de réalité.

L'autre gros problème de la narration du jeu c'est justement qu'il ne la prend pas au sérieux dans le challenge qu'il propose au joueur. Alors, sur plusieurs aspects. Premièrement, les actions basiques du personnage comme le déplacement et la mise à couvert sont extrêmement peu humaines. On déplace 50 comme un robot en translations, vaguement lent, vaguement lourd, vaguement pataud pour se retourner mais pas assez pour que ça passe pour autre chose qu'un déplacement générique et sans chair (à l'inverse, Quantum Theory, un peu sur le même modèle, arrivait à donner du caractère, du corps au contrôle de son personnage). Pour la mise à couvert, même pioche : on se contentera de devoir s'approcher dans un certain rayon d'une surface pouvant servir de couverture (là encore, pour leur nature, bonjour l'arbitraire), regarder en sa direction avec le stick droit et faire apparaître l'icône croix pour exécuter l'action. N'espérez pas des trucs qui auraient un peu de sens comme courir sur l'abri, effectuer une roulade dans sa direction en maintenant la touche : non là déjà on ne peut pas courir, mais c'est juste : être dans le rayon du truc (super large donc permissif), regarder dans sa direction (ça veut dire l'avoir à l'écran, encore super permissif et peu importe l'angle vertical), voir apparaître l'icône croix et appuyer dessus pour se mettre à couvert. C'est-à-dire qu'on peut être à bien trois-quatre mètres d'une couverture, regarder au ciel et avoir l'icône croix dessiné à l'écran pour se mettre à couvert. Je trouve que ce système ne nous fait pas du tout vivre l'action. On n'a pas à regarder la couverture, on n'a pas à se déplacer vers elle, on n'a juste à appuyer sur un bouton tant qu'on est dans le rayon et qu'on est tourné à peu près dans sa direction sur l'axe horizontal. Ce n'est pas suffisant ! Faut demander plus au joueur pour se mettre à couvert pour qu'il ait l'impression d'être 50 Cent qui se met à couvert dans une scène d'action. C'est le système le plus déconnecté de toute vérité, abstrait, que j'ai vu sur cette gén'.

L'autre aspect, c'est la thune et le score affiché en permanence à l'écran, les dizaines de défis secondaires qui s'affichent à l'écran au cours des niveaux POUR gagner plus de points, le tout afin d'avoir la médaille d'or au terme du chapitre. Il y a la médaille d'argent et de bronze aussi. Si on réagit aux stimuli que les développeurs ont mis dans leur jeu c'est ultra simple de vite reléguer l'intrigue, le but de 50 Cent dans l'histoire, à un rang sans importance. On a le score affiché en permanence, on a la thune affichée en permanence (pour compléter sa collection d'armes, de provocations et de mises à mort) et tout ce qui permet d'augmenter son score : les posters à ramasser dans les niveaux, les cibles à dégommer, les défis secondaires qui n'arrêtent pas ("10 secondes : tue l'ennemi au lance-roquettes !", "20 secondes : ramasse $30 000 !") et les divers multiplicateurs, comme lancer une provocation en appuyant sur L3 juste après avoir tué quelqu'un, tuer des gens en chaîne… Si on joue le jeu de ce que le jeu nous demande en permanence, les enjeux de 50 Cent nous passent au-dessus de la tête à l'altitude de la stratosphère. "Comment démolir une narration dans un jeu vidéo", ça pourrait être le titre de Blood on the Sand repackagé en blu-ray documentaire.

Après les développeurs, que c'était ou non leur principal souci de raconter une histoire, c'est pas la question : je pointe du doigt que la narration ne fonctionne pas là-dedans, pour des raisons précises et qui par ailleurs se retrouvent à différents degrés dans la plupart des jeux qui sortent aujourd'hui. Les questions de challenge à côté de l'histoire, c'est-à-dire les challenges qui se superposent au challenge qui permet de terminer l'histoire, n'en finiront jamais de flinguer la narration. Il faudra à un moment que les développeurs s'en rendent compte.

Les autres choses que je retiens c'est que la crédibilité d'un univers c'est indispensable, que la narration ne peut pas fonctionner avec des arènes collées bout à bout et séparées par des portes de garage à soulever, et que le gameplay doit être pensé de manière à faire faire au joueur des choses qui restituent le mieux possible ce qu'est censé faire le personnage. Exactement comme en littérature, trouver la forme qui va permettre de faire ressentir au lecteur ce qu'est en train de traverser le héros. C'est là qu'il est je pense le potentiel narratif unique du jeu vidéo : par le biais de ce que le jeu nous impose de faire pour le battre, il nous donne à ressentir ce que ça fait d'être dans la peau du héros. Et ça j'ai l'impression que peu de gens l'ont compris. C'est un sujet je pense que je développerai par la suite.

Verdict = dispensable