Deliver Us The Moon (PS4, PS5)
Par Pierre Compignie le samedi 13 mai 2023, 15:00 - Critiques toute neuves
Développé par : KEOKEN INTERACTIVE (Pays-Bas)
Sorti à l’origine en : octobre 2019 (Europe, version PC)
Comment j’ai pratiqué : Terminé en 6h02 en mode normal (1 sur 1), sur PS5 avec la manette Dual Sense Edge. 60 images par secondes. Version 1.009. J’ai paramétré la Dual Sense Edge pour pouvoir courir avec la palette gauche (au lieu de la gâchette L2, plus reposant). J’ai testé 21 minutes la version PS4.
Deliver Us The Moon est un thriller de science-fiction se déroulant dans un futur apocalyptique où les ressources naturelles de la Terre sont épuisées. Une colonie lunaire fournissant un approvisionnement vital en énergie ne répond plus. Un astronaute solitaire est envoyé en mission critique sur la lune afin de sauver l’humanité de l’extinction. Allez-vous sauver l’espèce humaine ou finirez-vous dans l’abîme sombre de l’espace ?
- Abordez des sujets réels
- Jouabilité à la première et troisième personne, avec de nombreux véhicules à piloter
- Un environnement lunaire vaste et ouvert à découvrir
- De l’action intense et oppressante
- Des séquences de jeu en apesanteur
- Des casse-têtes complexes et ingénieux
- Une bande-son orchestrale inquiétante
- Utilisation de l’Unreal® Engine 4[1]
Je ne vais pas chercher dans cette critique à faire un panorama complet de DUTM. Je trouve ça épuisant et si je veux écrire sur tous les VG que je fais, dans mon temps libre qui plus est, je ne dois pas mettre la barre trop haut. Je vais parler uniquement de ce qui m’intéresse, c’est-à-dire : la physique du perso ; l’absence de personnalité du héros ; la linéarité ; pas forcément dans cet ordre.
DUTM est un vidéogiciel extrêmement linéaire et quand je dis cela, je pense au fait que l’on n’a jamais vraiment besoin d’explorer, de comprendre son environnement ; pour la bonne et simple raison que les développeurs ont fermé 80% des portes et des couloirs de la station lunaire, et que les rares fois où l’on se déplace sur la surface de la lune, et bien notre objectif est indiqué en surimpression à l’écran. Il est impossible de se perdre ; on avance comme si on avait laissé pour nous un fil d’Ariane ; on suit le seul chemin possible, sans avoir besoin de comprendre la typologie des lieux. Pourtant la station lunaire n’a rien d’un unique couloir, elle présente de nombreuses portes, de nombreux passages ; mais les développeurs ont bouclé tout ce qui n’était pas utile à la progression du scénario.
Personnellement, quand mon perso est censé explorer une station lunaire, et que moi j’ai juste besoin de suivre les lumières bleues et les seuls passages déverrouillés, je ressens une profonde déconnexion avec le Schmilblick. Je ne vis pas l’expérience que les développeurs cherchent à raconter ; je vis l’expérience d’un type qui a la chance inouïe de trouver tous les chemins utiles, ouverts, de sorte que sa mission devient d’une simplicité enfantine grâce à cet artifice. Ça ne me convainc pas.
Je me rappelle d’un autre VG que j’avais pratiqué il y a plus de dix ans en arrière sur PS2 : Echo Night : Beyond. C’était plus ou moins le même délire, on dirigeait un type dans une station spatiale abandonnée, à la recherche de sa fiancée. Et bien celui-là je l’avais trouvé très immersif au contraire. J’avais eu besoin d’appréhender mon environnement, je devais rester bien éveillé pour ne pas me perdre ; les dangers étaient partout (des fantômes parfois malveillants) et il y avait un côté recherche/aventure très poussé. DUTM à côté, c’est un peu le développeur indépendant qui se met en tête de livrer un VG aussi simpliste que les AAA[2], avec une obsession de ne jamais lâcher la main du public… au point d’en perdre toute crédibilité.
Parlons maintenant du scénario. L’approche est là encore un peu bancale. D’un côté nous avons un contexte (et une B.O.) inspiré du film Interstellar, avec une planète Terre subissant une désertification galopante, des tempêtes de poussière ou de sable et une pénurie généralisée des ressources naturelles. Il s’agit de partir sur la Lune afin de relancer la production d’énergie miraculeuse mise en place des années plus tôt et interrompue dramatiquement (et mystérieusement) depuis cinq ans. C’est un voyage donc pour redonner de l’énergie à la Terre et aussi pour comprendre ce qui a pu se passer il y a cinq ans sur la station lunaire ayant abouti au blackout. Cette intrigue marche très bien, elle est prenante, aucun problème, elle m’a donné envie d’aller jusqu’au bout de l’aventure ; simple et efficace, à défaut d’être très profonde et de seulement survoler les problématiques sous-jacentes. Je pense à cette espèce de folie humaine de vouloir toujours plus d’énergie plutôt que de repenser nos modes de vie de façon à réduire notre dépendance à l’électricité. On apprend à un moment qu’un type de la station a découvert que même à plein régime la production d’énergie de la Lune ne pourrait pas subvenir aux besoins de toute la planète Terre (à moins que je n’aie pas bien compris)… C’était là l’occasion de penser la vanité de notre entreprise… Ce qui est compliqué avec un héros sans personnalité.
C’est là l’autre aspect du scénario de DUTM, beaucoup moins avenant : son héros. Le héros ne parle jamais et on ne voit jamais son visage, car il garde constamment son casque même quand il se trouve dans des zones parfaitement vivables de la station lunaire. Je n’ai pas compris du tout pourquoi. D’abord j’ai pensé que les développeurs nous faisaient le coup classique du héros sans identité pour qu’on puisse s’immerger dans la peau du personnage bien sûr, gros bêta de Pierre ! Un concept qui m’a toujours échappé. Je ne vois pas bien comment je pourrais croire être le héros du VG, alors même que je n’ai aucune latitude dans son choix d’entreprendre sa mission. Autant dans un Fallout 3, je crée mon personnage et fais absolument ce que je veux dans le monde et le VG permet cela, autant dans un VG à scénario comme DUTM je partage les enjeux d’un type qui les a lui-même choisis, donc qui existe par lui-même. Il est illusoire de chercher à me faire croire que je suis lui. Moi je ne serais jamais monté dans une fusée pour aller sur la Lune. Donc cette idée galvaudée de permettre l’identification via l’annihilation de la personnalité du héros, argh ! Quelle horreur ! Cela sous-entend de plus que l’humain serait en incapacité de s’intéresser et s’identifier à un Autre que lui ; ce que la popularité de la Fiction dans son ensemble dément depuis des siècles. C’est prendre le public des vidéogiciels pour des imbéciles incapables d’empathie.
Après, que l’on ne veuille pas faire parler le héros tout le temps pendant qu’on le contrôle, oui, ça c’est parfaitement sain. Je suis le premier à me plaindre quand mon perso se met à conter fleurette à un autre perso alors que je suis train de le faire sauter au-dessus du vide. Dans ces moments où, alors que je le contrôle, j’effectue une tâche nécessitant 100% de ma concentration, il n’est pas normal que le perso se mette à bavarder comme s’il était affalé dans un fauteuil. Ça, on est bien d’accord qu’il faut l’éviter car cela crée une rupture entre le public et le héros. Mais se priver de toute intervention orale n’est pas non plus la solution, surtout quand par ailleurs le scénario multiplie les scènes dans lesquelles le héros devrait parler ; typiquement quand ses collègues sur Terre lui demandent si tout se passe bien par radio. Qu’il reste muet dans ces moments est une hérésie ; je ne comprends même pas comment sur un VG de 2019 je peux encore avoir à discuter de ça.
Et bien sûr le fait que le type garde tout le temps son casque alors qu’il est dans un milieu pressurisé et oxygéné : ça n’a pas de sens.
Mais alors DUTM m’a surpris car aux deux tiers il nous est révélé le nom de notre perso ! Incroyable. Il s’agit d’un type, Rolf, dont on a d’ailleurs entendu la voix auparavant dans des logs audio ; on comprend qu’il était sur la station lunaire il y a cinq ans et qu’il revient aujourd’hui pour retrouver sa collègue Sarah qui est apparemment restée coincée sur la Lune. Alors là j’ai halluciné. Quel rebondissement, quel coup de théâtre, quel twist infernal. Rétrospectivement cela pose plein de questions : pourquoi les collègues sur Terre n’ont-ils jamais appelé le perso par son prénom ? Pourquoi du coup ne parle-t-il jamais ? Il n’y a même plus l’excuse bidon que j’imaginais du perso non identifié pour supposément favoriser l’identification. Et d’ailleurs, comment Rolf est-il revenu sur Terre il y a cinq ans ?
Bon mais ce twist ne change pas grand chose au final ; le perso reste toujours désespérément muet et n’enlève pas son casque. Par contre, il permet d’ajouter un enjeu au héros : retrouver Sarah, avec qui il a un lien émotionnel. Dans la scène finale, on retrouve Sarah dans un caisson cryogénique, en vie, et Rolf, dans sa combinaison d’astronaute, essaie autant que possible d’exprimer son émotion à grands coups de moulinets avec les bras. Et il meurt de sa blessure, sans un mot ; comme le pathétique héros de VG muet qu’il était.
Je ne vais pas cracher dans la soupe : DUTM se laisse faire, il est joli, il tourne à 60 images par seconde sur PS5, j’ai résolu son mystère et son intrigue sans déplaisir. Il n’a simplement rien de très enthousiasmant. Par ailleurs, la version PS5 souffre d’une absence totale de vibrations, alors même qu’un patch annoncé par le développeur en juillet 2022 était censé régler le problème et ajouter une option dans les paramètres – invisible à ce jour. Et rien à voir mais je n’ai pas accroché à la physique du personnage : on a beau commencer l’aventure sur Terre, le corps de l’astronaute se comporte déjà dans ses mouvements comme s’il était sur la Lune… Quand je suis arrivé sur la station lunaire, aucune différence, ce qui a vraiment fait tâche. En outre, on peut mourir d’une chute alors même que le perso tombe super lentement… Ce n’est pas très sérieux et cela brise l’immersion, on voit les ficelles, on voit le VG pas bien fini.
La version PS4 fait bien vibrer la manette, par contre elle n’est pas aussi jolie que la version PS5 ; j’ai trouvé les ombres par exemple, extrêmement grossières. Il est à noter que quand on exécute la version PS4 sur la PS5, d’abord on a un message nous avertissant d’une incompatibilité partielle, soit, mais surtout, le mode graphique « 4K à 30 images par seconde » semble tourner à 60 images par secondes ! Donc on bénéficie de la meilleure résolution avec une performance à 60 ips. Vraiment dommage dans ces conditions que la richesse visuelle soit moindre que sur la version PS5, sinon cette version PS4 aurait été idéale.
Mise à jour 26/05/2023 : après 4 méls à l’éditeur Wired Productions et 3 à Playstation, j’ai le plaisir d’écrire que la mise à jour version 1.000.011 a été enfin déployée pour la version européenne PS5 de DUTM. Elle était restée bloquée dans les tuyaux pratiquement un an, sans que personne ne s’en émeuve ou parvienne à convaincre l’éditeur du problème. J’y ai mis de l’énergie et de l’acharnement, mais je suis fier aujourd’hui que grâce à moi la version PS5 européenne soit à jour et supporte les vibrations de la manette Dual Sense. Pas impossible que je recommence l’aventure afin d’expérimenter ça et obtenir le trophée platine (je ne m’étais pas du tout préoccupé des trophées la première fois).
Le développeur indépendant KEOKEN INTERACTIVE a réalisé avec ses moyens (du bord) un VG digne d'un blockbuster, dans ce que la définition implique de dirigisme jusqu'à l'absurde et de superficialité générale, autant dans l'expérience interactive que dans l'écriture du scénario. Le coup du personnage muet et sans visage m'a hérissé les poils tandis que le twist à mi-parcours sur sa véritable identité (quand tout laissait croire qu'il n'en avait pas comme dans plein de VG) m'a plongé dans des confins de perplexité. Enfin, ça se laisse faire, c'est joli et le mystère de ce qui est arrivé aux colons sur la Lune est sympa à élucider.
Verdict = ok
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store
- ^ Vidéogiciels à très gros budget, au design extrêmement frileux qui s’adresse au public le plus large : les dilettantes.
Galerie d’images
Commentaires
Tes critiques permettent une vraie immersion dans le VG. Bravo!
Ps: si je peux me permettre une petite suggestion : mettre les notes au même niveau sur la droite du texte. Qu en penses-tu ?
Merci !
Sur la droite du texte, tu veux dire dans la colonne de droite ? Malheureusement non c'est impossible ; la colonne de droite affiche des éléments qui ne font pas partie du billet que tu es en train de lire. Ce sont des éléments "généraux" s'affichant sur toutes les pages du blog.
Par contre, les notes sont cliquables, ça te fait descendre directement sur la note en question ; et sur la note elle-même, le caractère ^ permet de remonter dans le texte.