Mafia (PC, PS2)

Développé par : ILLUSION SOFTWORKS alias 2K CZECH (République tchèque)

Sorti à l'origine en : septembre 2002 (Europe, version PC)

Mafia est une épopée criminelle en 3D qui se déroule dans le milieu de la pègre des années 1930. À vous de devenir un homme envié et redouté de tous, dans une ère où règnent courses-poursuites, contrebande et attaques de la Mafia. Forgez-vous une réputation d'homme de main dévoué, de chauffeur de taxi audacieux ou de redoutable homme de main dans votre quête pour le respect et le pouvoir au sein de la famille Salieri.

Rejoignez la famille ![1]

Je n'aime pas trop la présentation que je viens de recopier. Déjà elle emploie deux fois le terme « homme de main » alors que la version originale parle de tough enforcer et de deadly hitman ; de plus elle présente Mafia comme un jeu de rôle où l'on choisirait sa voie au sein de la pègre dans le but ultime d'être le big boss.

En réalité Mafia est un vidéogiciel (je peux dire VG) très cinématographique où l'on contrôle un personnage bien défini, qui n'est pas nous, Tommy Angelo, et son but n'est pas du tout de devenir le parrain... C'est juste un mec moyen, médiocre sur certains aspects (le respect de la vie humaine, l'appât du gain), remarquable dans d'autres (la conduite, la bagarre, les fusillades) et nuancé sur la jugeotte, la morale et l'empathie. Il n'est pas très ambitieux. Il navigue à vue dans la vie, simplement, « cultivant son jardin » et sautant sur les opportunités qui s'offrent à lui.

Donc on est loin de la présentation officielle. Concrètement Mafia nous fait partager la vie de Tommy Angelo au sein de la famille Salieri, depuis le tout début alors qu'il n'était qu'un honnête chauffeur de taxi et sa rencontre fortuite avec Paulie et Sam, jusqu'à son propre assassinat une vingtaine d'années plus tard. C'est donc un récit très ample et aux multiples ellipses ; un récit qui choisit soigneusement les morceaux à nous raconter sur ces vingt ans d'existence mouvementée. Un récit « dans le récit » en outre, puisque l'histoire est racontée depuis le futur par un Tommy plus âgé qui négocie avec un inspecteur de police.

Le temps se partage entre cinématiques et missions interactives scénarisées à base de déplacements dans la grande ville de Lost Heaven, fusillades, combats et plus rarement un peu d'exploration de bâtiments et de rélexion.

Il est facile de comparer GTA à Mafia voire même de qualifier Mafia de « GTA-like » ou clone de GTA. GTA III était sorti en octobre 2001 donc une petite année plus tôt, et il partage avec Mafia cette grande ville ouverte en 3D où l'on est un criminel qui peut voler des voitures et tirer sur les gens. Oui mais en fait les deux œuvres n'ont absolument pas la même philosophie. Dans Mafia je n'ai pas tiré une seule fois sur un passant ni ne me suis « amusé » à affronter la police. C'est parce que Mafia prend très au sérieux son histoire et qu'il est principalement un récit. GTA III est un bac à sable et nous le rappelle à la fin de chacune de ses missions scénarisées : on se retrouve largué dans la ville sans enjeu dramatique, avec bien sûr la possibilité de rejoindre tel point B pour lancer la mission scénarisée suivante, mais rien ne nous y pousse, rien ne nous y oblige – l'ennui provoqué par les déplacements redondants dans la ville tend plutôt à nous en dissuader. J'ai trouvé par ailleurs le scénario très pauvre dans GTA III. Dans Mafia les missions scénarisées s'enchaînent et ne laissent pas de répit au public. Il n'y a pas de pause, pas de suspension dans le déroulé de l'histoire. À la fin d'une mission, la suivante commence. Cela autorise aussi une tension continue au fil des chapitres, que la structure de GTA III n'autorise pas puisque le retour au statu quo est nécessaire à la fin de chaque mission pour que le public soit libéré et puisse de nouveau s'amuser librement avec ses jouets que sont le monde ouvert et la police. C'est un plafonnement terrible de l'intensité dramatique des vidéogiciels signés ROCKSTAR, qu'on retrouve dans leur Red Dead Redemption par ailleurs. Mafia se concentre, lui, sur son histoire et ses personnages, avec des protagonistes bien plus travaillés que dans GTA III, mémorables, et un ton qui verse moins dans la provocation puérile, le cynisme et l'envie de choquer pour exister. Mafia verse plus dans la simulation que le jouet punk. Quand on conduit en ville, on doit respecter le code de la route : ne pas rouler à plus de 60 miles per hour et s'arrêter aux feux rouges, au risque d'être sifflé par un policier qui aura assisté à notre méfait. Et la police n'est pas une puissance magique abstraite dans les années 30 : on peut les semer, refuser de s'arrêter, tuer le ou les policiers témoins et s'en sortir ainsi... C'est moche mais ça me semble réaliste.

En un mot, à côté de GTA III, Mafia est un VG adulte.

Un réalisme que j'ai trouvé aussi dans les vibrations. Car oui Mafia est un vidéogiciel PC particulier car à cette époque où le support manette n'était pas encore démocratisé (il le sera avec l'arrivée de la Xbox 360 et sa manette) il propose non seulement de contrôler Tommy avec une manette, mais aussi une gestion poussée des vibrations en fonction du contexte. Alors ce n'est pas du plug'n'play, loin de là, il faut prendre le temps de paramétrer sa manette (associer chaque action à une touche) et de mon côté j'ai préféré gérer la visée au stick droit via un logiciel tiers (AntiMicroX) qui permet au final une meilleure précision. Mais donc, pour en revenir au réalisme, les vibrations sont ici très intéressantes. Tommy peut sauter ou tomber d'un rebord, et quand il atterrit il encaisse le choc (la manette tremble) et s'immobilise quelques instants. Tommy a donc un « poids » que le vidéogiciel parvient bien à retranscrire. Et concernant les voitures, là aussi le travail sur les vibrations est très poussé, avec des vibrations relatives aux surfaces sur lesquelles on roule (herbe, béton...), aux collisions (décors, voitures, humains), au ronflement du moteur et au frottement des roues dans les virages. C'est très impressionnant ; la sensation d'être dans un vieil engin bien lourdingue (les tutures de l'époque) est patente avec des vibrations qui sont très puissantes par ailleurs. Bien sûr la manette vibre aussi avec les coups tirés avec une arme, lors des roulades et lorsqu'on est frappé ou touché par un tir ennemi. C'est plus classique mais à mon sens toujours très efficace pour se sentir dans l'action !

La configuration des touches à pied est à effectuer par le public. En ce qui me concerne je me suis inspiré de la répartition des touches retenue pour la version PS2 mais l'ai remixée à ma sauce : stick gauche pour se déplacer, stick droit pour viser, R1 pour tirer, L1 pour sauter, L2 pour s'accroupir, R2 pour courir, L3 pour cacher son arme, R3 pour zoomer, croix comme touche action, rond pour lâcher son arme, carré pour recharger, triangle pour basculer entre la course et la marche, flèches haut et bas pour faire défiler les armes, select pour afficher les objectifs.

Quelques commentaires. S'accroupir avec L2 me semble bien plus pratique qu'enfoncer le stick gauche (L3), choix malheureux retenu sur PS2. De plus, je trouve cela plus immersif de devoir maintenir une touche pour s'accroupir plutôt que de changer de position comme un interrupteur (choix de la version PS2). Dans la réalité cela demande un effort de se maintenir accroupi en se déplaçant, il me semble juste que le public doive ainsi faire un effort également et ne pas juste cliquer pour se lever / se baisser.

J'ai aussi préféré faire en sorte que mon Tommy marche par défaut et que je doive maintenir une touche pour le faire courir – même justification que pour l'action de se baisser, pour moi c'est plus immersif. La version PS2 a opté pour un déplacement où l'on bascule de la marche à la course selon comment on incline le stick gauche. Mais je n'aimais pas du tout que Tommy coure dans tous les sens sans avoir à maintenir une touche. Je me sentais plus en contrôle de lui quand par défaut il marche. Un peu dommage du coup que sur PC, au début de chaque mission, sa vitesse par défaut redevient la course. Il faut alors faire une fois la bascule, que j'ai attribuée donc à la touche triangle.

Le clic sur le stick droit pour zoomer est anecdotique : on ne l'utilise qu'une seule fois dans toute l'histoire ! Et c'est vraiment un seul clic en plus : marrant.

Pour la visée au stick droit, j'ai un peu galéré à arriver à un résultat convaincant avec AntiMicroX : il faut pouvoir viser précisément, mais sans pour autant tourner sur soi-même trop lentement. Les paramètres sont nombreux entre la zone morte, les différentes accélérations et leurs réglages, et même la possibilité (non testée) de modifier la vitesse du stick en appuyant sur une autre touche... J'ai pas mal tâtonné, sans jamais être 100% satisfait du résultat. J'y travaillerai encore, sur quelques FPS PC que je compte faire à la manette (comme No One Lives Forever 2 par exemple, ou Aliens vs Predator 2). Il faut dire que j'adore vraiment contrôler les VG à la manette, et particulièrement la Dual Shock 2 de Sony. Bien sûr je pratique mes point'n'click à la souris mais tout ce qui est VG d'action immersif, pour moi c'est à la manette sinon rien.

Et je dois dire en toute sincérité qu'en essayant la version PS2 de Mafia j'ai réalisé que je suis loin de m'être mal débrouillé avec le paramétrage de la visée sur le stick droit ; car la visée sur PS2 est tout bonnement impraticable, imprécise au possible, abominable, un enfer. Les développeurs ont tenté de compenser leur incompétence (pas d'autre mot) par l'ajout d'une (espèce de) visée auto sur les gâchettes R2 et L2 : une pression sur R2 pointe automatiquement le centre de l'écran sur l'ennemi le plus proche sur notre droite et L2 fait la même chose à gauche. Je n'ai pas insisté longtemps mais j'ai trouvé cela horrible, avec un frame-rate à 15 images par seconde à la louche et plus aucune gerbe de sang à chaque impact de balle – au-delà du gore c'est ce qui permet de voir que l'on a réussi à toucher un ennemi. Les fusillades sur PC par contre m'ont paru excellentes, avec des impacts (tirs réussis) perceptibles grâce au sang qui gicle mais aussi grâce à des animations de recul des corps que les 60 images par seconde mettent bien en évidence.

Car oui, quand les personnages ont des petits soubresauts subtils, ces derniers sont bien plus faciles à distinguer avec une animation fluide et décomposée, qu'avec une image qui saccade façon diapositives. Les 60 images par seconde ont un effet paradoxal de ralentissement de notre perception de l'action, on voit tous les détails d'une action et on se trouve bien plus à même de réagir en conséquence. Je me faisais la même réflexion en pratiquant les versions PC et PS3 de Dead Island successivement.

Mais les fusillades de Mafia sont excellentes à mon sens grâce au stun temporaire des ennemis quand on les touche. Stun, dans le vocabulaire gamer, c'est quand un personnage est temporairement rendu incapable d'agir. Donc, quand on tire une balle sur un ennemi dans Mafia, il subit un stun d'une seconde qui lui interdit toute représaille. Évidemment c'est très bref, mais, cet élément de design ouvre des stratégies, notamment lorsqu'on dispose d'une arme automatique : il est alors possible, mais difficile, du fait du recul de l'arme, d'enchaîner les tirs sur un ennemi sans lui laisser la possibilité de réagir. C'est d'ailleurs la seule stratégie que j'ai trouvée contre le boss final, soit dit en passant, qui lui-même te chain stun (te paralyse à répétition) jusqu'à ce que mort s'en suive si tu lui en laisses l'occasion. Je mets au crédit des développeurs d'avoir cependant équilibré les différentes armes de façon à ce que cette stratégie ne puisse pas être exploitée facilement : la plupart des armes n'ont pas une cadence suffisante pour chain stun un ennemi, tandis que le pistolet-mitrailleur Thompson a un tel recul et une telle dispersion que sa maîtrise est un apprentissage à part entière. J'ai d'ailleurs appris à me servir de cette arme principalement au coup par coup ! Solution idéale pour enchaîner les tirs tout en gardant sa précision, mais exige de la délicatesse car la pression doit être très succincte pour ne tirer qu'une seule balle... J'aime aussi beaucoup le fait que les développeurs aient donné un réel intérêt à l'accroupissement, qui m'a semblé à la fois augmenter la précision des armes mais aussi permettre d'éviter les premières balles dont on est la cible, le temps que les ennemis ajustent leur tir (ce qui peut sauver la vie, et c'est encore une fois la seule stratégie que j'ai trouvée lors de l'ultime face-à-face de l'histoire, un duel dans un couloir).

Beaucoup de bon à dire donc sur l'interactivité « à pied » de Mafia. Pour les voitures, voici mes commandes : stick gauche pour conduire (vers l'avant pour avancer, vers l'arrière pour reculer/freiner et vers les côtés pour tourner), L1 pour activer/désactiver le limiteur de vitesse, R2 pour regarder à droite, L2 pour regarder à gauche, R1 pour tirer, rond pour le frein à main, start pour afficher la carte, L3 pour klaxonner, R3 pour changer de caméra, stick droit pour viser.

Le stick gauche pour contrôler le véhicule est pour le coup configuré par défaut ainsi dans la version PC. C'est... moyennement convaincant. Freiner implique forcément de ne plus accélérer, tourner fait ralentir : pas idéal. Une autre solution serait de faire comme la version PS2, au contrôle plus traditionnel : croix pour accélérer, carré pour freiner. Oui mais alors on ne peut plus viser tout en conduisant : tenir croix et actionner en même temps le stick droit est physiquement impossible (le pouce ne peut pas se dédoubler). La version PC opte donc par défaut pour un contrôle permettant de tout faire en même temps, à défaut de tout faire « parfaitement ». J'ai laissé le contrôle par défaut sur PC, en le changeant ponctuellement lors de la mission qui consiste à courir une course automobile : j'ai galéré des heures sur cette mission exigeant un contrôle très fin de la voiture – le contrôle total du véhicule au stick gauche n'était alors plus suffisant.

J'ai lu récemment ça sur le test JV.COM du récent remake de Mafia :

Et bien évidemment, faire un remake de Mafia revenait fatalement à en rectifier le gameplay, qui, lui aussi, ne laissait rien passer dans son approche simulation en son temps. Effectivement, la version d'origine ne brillait pas vraiment par ses gunfights, assez rudimentaires, ni par sa conduite, particulièrement lourde. Si cette dernière était justifiée par un souci de réalisme faisant des véhicules de l'époque de véritables paquebots à conduire, il était aujourd'hui presque impensable de reproduire à l'identique une telle approche. Les courses poursuites de l'époque étaient d'une grande lourdeur et si ce point était acceptable pour le public d'il y a 18 ans, un nouveau venu pourrait sans conteste être rebuté par ces séquences proches de l'immaniable aujourd'hui.

Mon sang ne fait qu'un tour quand je lis ça... Je suis partagé entre le dégoût pour ces propos qui intègrent (et donc acceptent) cette tendance contemporaine à vouloir tout, tout de suite et que ça saute, et le désespoir en contemplant l'idée que les gens sont réellement ainsi aujourd'hui. Je ne suis en rien d'accord avec le rédacteur de JV.COM dans ce paragraphe. Les véhicules de Mafia sont complètement contrôlables, mais oui ils sont lourds, oui ils sont lents, et oui c'était comme ça à l'époque, et en fait, mince ! Il se trouve que le but est justement de nous faire vivre dans les années 30, à une époque où le ciel était bleu, les moteurs puaient et faisaient du bruit et malgré cela la pollution ne se ressentait pas. C'était une autre époque et on peut expérimenter un tout petit peu de ce que c'était parce que des développeurs ne cherchent justement pas uniquement à nous faire plaisir, mais à nous faire ressentir des trucs... Vous savez, un peu la différence entre un produit et une œuvre d'art... Voilà pourquoi je conchie des sites comme JV.COM et au contraire dévore digitallydownloaded.net ; le premier considère les VG comme des produits dispenseurs de fun, le second comme des œuvres qui parfois sont gentilles et parfois nous bousculent. Je n'en peux plus de ce nivellement des VG par le bas, de cette intolérance au moindre concept qui demande au public un peu d'effort, un peu d'adaptabilité à de nouveaux modes de contrôle, d'apprentissage de nouvelles règles. Le peu que j'ai vu du remake de Mafia, ce sont des figurines à collectionner au kilomètre en pleine mission ; bravo les mecs vous avez tout compris, vive la « modernisation »... Bon je ne vais pas aller trop vite en besogne, je lis aussi que le scénario a été retravaillé de façon relativement profonde et j'ai hâte de voir cela.

Et puis parlons-en du scénario de Mafia ! J'ai des sentiments mitigés. D'un côté, l'écriture est prenante. Les dialogues ont ce qu'il faut de réel pour m'accrocher, chaque personnage principal est bien défini : Paulie, Sam, Don Salieri, Tommy. Il n'y a pas de réel temps mort dans l'histoire, tout est toujours un minimum intéressant. Et puis la dernière mission est passionnante ! Non seulement elle fait s'éclore et s'épanouir deux graines narratives plantées plus tôt dans le récit (Tommy épargnant coup sur coup Michelle et Frank, désobéissant ainsi au Don), mais elle amène ce rebondissement tonitruant de la mort de Paulie, de la chute de Tommy et de sa tentative d'assassinat par son « ami » Sam. Sam révèle à Tommy que la femme qu'il a épargnée, Michelle, est réapparue en ville et que c'est ainsi que le Don a appris que Tommy l'avait laissée filer. Ils ont alors tué Michelle et se sont mis à la recherche de Frank en Europe, sans le dire à Tommy bien sûr ; et l'ont assassiné lui aussi... Ce sont des révélations terribles car ces deux « sauvetages » étaient finalement les plus remarquables accomplissements de Tommy dans sa vie mafieuse. Il avait réussi à sauver ces deux personnes qui avaient enfreint l'omerta, la loi du silence, et étaient condamnées à mort par Don Salieri pour cela. C'est un choc d'apprendre que ces actes de compassion de Tommy se sont avérés vains ; c'en est un autre de réaliser que le Don a condamné à son tour Tommy à une mort sanglante, en envoyant rien moins que Sam que Tommy considérait comme un ami. La révélation que Sam a assassiné Paulie enfonce le clou. En un face-à-face entre Tommy et Sam dans le musée d'art servant de décor à cette mission, il n'y a plus la moindre trace de glamour ou de fun dans cette vie de malfrats : la compassion tue, l'amitié n'existe pas, tout le monde est voué à mourir de façon brutale et sanglante, sans l'avoir vu venir.

Alors qu'on le contrôle, Tommy parvient à triompher de Sam et à sortir vivant du musée. C'est cet événement qui le pousse à passer un deal avec un inspecteur de police. Son témoignage et sa pugnacité (il passe plusieurs semaines enfermé pour sa propre protection) aboutissent à envoyer Salieri en taule et même une partie de ses hommes sur la chaise électrique. Mais le répit n'est que de courte durée pour Tommy. Alors qu'on le retrouve plusieurs années plus tard installé avec sa famille à l'autre bout du pays, en train d'arroser les plantes dans son jardin, une voiture rouge s'arrête devant sa propriété, deux hommes en sortent, s'approchent : Monsieur Angelo ? Don Salieri vous transmet ses hommages. L'un d'eux sort une carabine à canon scié, l'arme traditionnelle sicilienne dont Salieri lui-même avait insisté pour que Tommy l'utilise pour assassiner les plus dangereux opposants à son pouvoir. C'est la fin de Tommy Angelo, une fin tragique et précoce d'un homme qui a eu le malheur de fricoter avec la mafia.

J'ai trouvé tout ce chapitre final puissant et remarquable. Mais la façon dont on y arrive et le déroulement du récit dans son ensemble ? Pas tant que ça. Je ne l'ai pas encore raconté mais l'assassinat de Paulie par Sam et la confrontation entre Tommy et Sam au musée d'art ne sont pas directement liés au fait que Tommy ait épargné Michelle et Frank plus tôt dans le récit. Cela aurait eu beaucoup de sens mais non, et je le regrette. Le prétexte à ce revirement de l'intrigue à 180 degrés (car pas la moindre zone d'ombre entre les trois hommes avant cette 21ème mission) est beaucoup plus contestable : Paulie et Tommy ont décidé à eux deux de braquer une banque, sans en parler à Don Salieri. C'est ça l'élément déclencheur de toute la tragédie. Sauf que je n'ai pas compris en quoi c'est tellement grave et répréhensible de braquer une banque sans l'accord du chef. Et je pense que Paulie ne l'a pas compris non plus, et Tommy non plus, car sinon, à moins d'être imbéciles (ce qu'il faut quand même être pour se lancer dans un tel projet), ils ne se seraient jamais embarqués là-dedans. En fait je ne comprends à la fois pas bien le déchaînement de violence qui s'abat sur les deux hommes à la suite de ce braquage, et je ne comprends pas non plus malgré ça comment Tommy a pu accepter de le faire, lui qui a montré quand même une certaine jugeotte au cours du récit. Je veux dire, même si Salieri était un gentil nounours, tu peux être au moins sûr que les flics te traqueront, que ton argent volé fera des envieux parmi tes collègues mafiosi, ou alors ça t'obligera à mentir et te compliquera la vie, etc etc. Je n'imagine pas un monde dans lequel Tommy aurait réellement eu sa vie améliorée par ce braquage. D'autant que rien n'indique qu'il avait besoin de cet argent... Alors je précise que le scénario écrit ça de façon à ce qu'on pense que Tommy accepte la proposition de Paulie de braquer une banque (car c'est son idée à l'origine) après avoir réalisé que Don Salieri l'a envoyé dérobé des caisses de cigares sans leur dire qu'il y avait en fait des diamants à l'intérieur... Euh mais Salieri c'est un peu le chef en fait, il n'a pas à tout te dire et de plus tu lui as été, me semble-t-il, tout à fait soumis pendant toutes ces années, donc quelle est donc ce besoin soudain d'une telle transparence de la part de celui que tu traites comme ton Dieu ? Je n'ai pas du tout compris ce risque totalement inconsidéré que prend Tommy d'accepter la proposition de Paulie. Paulie a toujours été un petit peu bête, à ne pas voir plus loin que le bout de son nez, et c'est tragique mais pour le coup ça colle à son personnage cet appât du gain totalement irréfléchi. Mais ça ne colle pas à Tommy, dont les scénaristes n'ont absolument pas installé au préalable ce qui pouvait justifier qu'il prenne un tel risque et mette en plus la vie de sa famille en danger.

Donc quand plus tard Tommy découvre Paulie mort chez lui, puis rejoint Sam au musée d'art pour la confrontation, on se dit que tout cela est « juste » la conséquence d'un plan stupide de braquage de banque décidé lors de l'avant-dernière mission histoire de pouvoir apporter au récit de Tommy la conclusion tragique prévue par les scénaristes. Mais ça ne marche pas, c'est unearned comme dirait Erik Kain sur son blog Forbes (« immérité » en Français mais je trouve ça bof). Quand on se retrouve au musée et que Tommy et Sam se parlent, Sam raccroche le déchaînement de violence aux deux trahisons passées de Tommy (le fait d'avoir épargné Michelle et Franck), mais c'est maladroit : et si Tommy n'avait pas braqué la banque, quand est-ce qu'on aurait entendu parler de cette histoire ? Pourquoi ça ressort maintenant, comme par hasard au moment où Tommy vient de braquer une banque ? Et comment au juste Don Salieri a-t-il eu vent du braquage ? À quel moment, pourquoi et dans quelles circonstances Sam a-t-il décidé de moucharder ceux qu'il appelait ses amis ? J'aime beaucoup l'idée que les bonnes actions de Tommy provoquent sa perte, mais je trouve que cela arrive comme un cheveu dans la soupe. Pourquoi Paulie est-il tué « juste » pour avoir braqué une banque dans son coin ? Il n'avait rien à voir avec Michelle et Frank...

Et puis, sur le récit dans sa globalité... Il y a l'affrontement avec la famille Morello qui court sur plusieurs chapitres et assure un certain suspens. Mais cette confrontation m'a semblé beaucoup trop facile, avec un Morello passif qui ne contre-attaque qu'une seule fois (chouette moment d'ailleurs, l'attaque du bar Salieri en plein jour) et subit sans broncher son anéantissement étape par étape par la famille Salieri. Trop facile. Et à part cet enjeu dramatique, on ne fait que suivre Tommy dans ses missions « impersonnelles » pour la famille Salieri. Encore une fois j'ai trouvé les dialogues prenants et la narration sans vrai temps mort, mais je vois aussi qu'il n'y a pas de vraie progression dramatique, pas d'enjeu au long cours. Jusqu'à l'avant-dernière mission je me demandais ce qui allait bien pouvoir conduire Tommy à quitter la famille et négocier avec cet inspecteur de police. Ce n'est pas possible que sur un récit à 21 chapitres, la chute ne trouve son sens que dans les deux derniers. Il aurait fallu bien mieux amener le rejet de Tommy Angelo par Don Salieri. Ses sauvetages marquants de Michelle et Frank méritaient de faire rebondir le récit dans de nouvelles directions, plutôt que d'être traités comme des anecdotes, oubliés et se rappeler à notre bon souvenir seulement à la toute fin.

Pour résumer, Mafia consacre beaucoup trop de chapitres à l'illustration d'un statu quo, à la « vie paisible de Tommy » au sein de la pègre. La confrontation avec Morello manque de répondant et la tragédie finale, aussi puissante soit-elle, arrive comme un cheveu sur la soupe. On parle de « dénouement » ; or ici, le nœud n'a pas été fait, il n'y a rien à dénouer.

Côté interactivité, les missions m'ont paru tout à fait intéressantes à mener, entre les chouettes fusillades et les quelques séquences plus originales nécessitant d'explorer : je pense à l'hôtel Corleone dans lequel on évolue librement au départ en observant les lieux et en essayant de définir une stratégie, comme dans un Hitman. Je pense encore à cette prison abandonnée labyrinthique peuplée de clochards agressifs, au sommet duquel il faut monter pour prendre une position de tir et assassiner un homme politique faisant un speech sur une île voisine... Je me rappelle avec douleur de ce passage sur les docks où j'ai cherché quoi faire pendant des heures comme un vagabond, avant d'avoir recours à la soluce. J'ai apprécié ces poursuites en voiture où je devais rattraper ma cible qui roulait plus vite en lui tirant dessus ou en la forçant à s'arrêter (la meilleure option). Une vie de malfrat mouvementée qui n'a pas manqué de piquant, du tout. Je regrette juste la redondance des trajets en voiture. Ils demandent beaucoup de patience du fait de l'intransigeance de la police, et si j'apprécie de revivre les sensations de l'époque, je trouve que Mafia se répète beaucoup trop avec ces trajets : tellement d'allers-retours d'une extrémité à l'autre de Lost Heaven, avec exactement le même parcours... Ce n'est pas intéressant de refaire 100 fois la même chose, et ça crispe quand ça demande autant de self control. Oui car combien de fois je me suis impatienté, désactivé le limiteur de vitesse, roulé à toute berzingue pour au final retourner ma voiture et condamner ma précieuse cargaison, ou simplement rameuter les flics et me rendre la vie impossible ? Trop de fois.

Mafia est un animal rare parmi la production PC de son époque. Ses cinématiques sont particulièrement soignées, le contrôle du personnage a bénéficié d'un soin tout particulier pour favoriser l'immersion. La tranche de vie de Tommy Angelo parmi la mafia m'a captivé sans peine, tant par son écriture que sa dimension interactive dans ses missions. Mais l'intensité dramatique du récit reste faible, et les trajets en voiture, exigeants, s'ils mettent bien dans l'ambiance des années 30, sont répétés à l'identique tout au long de l'histoire jusqu'à devenir éreintants. Le public dévoué sera gratifié d'un dernier chapitre étonnamment sombre, qui laisse le sentiment très plaisant d'avoir vécu une expérience peu commune... et l'envie de découvrir le remake.

Verdict = vaut le coup !

 

Note(s)

  1. ^ Présentation officielle recopiée d'un scan de la quatrième de couverture de la version PS2.

 

Galerie d'images

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La distance d'affichage est malheureusement limitée. Cependant...
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...saisir « cumdal » au clavier au cours d'une mission permet de l'augmenter sensiblement. Vous voyez la différence ? Notons que le code « cumdal » a été conçu pour les claviers QWERTY ; il faut donc saisir « cu,dql » sur nos claviers français (AZERTY).
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Assez rare que des gens s'embrassent dans les VG. Mafia se risque pourtant à une scène d'amour, touchante par sa maladresse technique.
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Don Salieri est, dans le fond, un sale type qui n'a aucun respect pour la vie humaine.
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Le héros Tommy montre une certaine faculté au questionnement. Il a beaucoup de sang froid et n'est jamais vexé par les provocations. Un bon bougre (si on oublie tous les malfrats et policiers mitraillés).
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Visuellement, je trouve que la représentation de la ville est magnifique et nous propulse tout droit en 1930.
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Les cinématiques sont particulièrement soignées... Parfois de vrais morceaux de film. Je suis très agréablement surpris, surtout de la part d'une production PC.
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Encore une fois : magnifique. Et mélancolique.
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Un autre exemple de la distance d'affichage limitée...
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Avec cumdal ça va mieux, mais notez au passage comment les immeubles paraissent grands par rapport au personnage ! On se sent tout petit, je trouve que la hauteur des buildings ressort bien à l'image.
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Ambiance enfumée dans le bar de Salieri...
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...vraiment un beau travail sur l'ambiance. Les développeurs avaient à cœur de nous faire vivre leur récit, ça se sent.
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Un clin d'œil appuyé à un cinéaste dont je déteste les films... D'ailleurs, il y a bien plus d'humanité dans Mafia que dans Les Affranchis.
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Objectif : suivre la femme tout au fond de l'image. J'ai opté pour cette caméra pas du tout confort mais au rendu très cinoche.
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Les fusillades sont très sanglantes dans la version PC...
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...et exigent une précision réjouissante. Une bonne tension dans ces moments.

 

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