Dracula 4 : L'Ombre du Dragon (PC)
Par Pierre Compignie le samedi 6 août 2022, 14:00 - Critiques toute neuves
Développé par : KOALABS (France)
Sorti à l'origine en : juin 2013 (Europe, version PC)
Quelques mois après le naufrage d'un cargo transportant une importante collection d’œuvres d'art destinée au Metropolitan Museum, une des toiles réapparaît en Hongrie.
Dépêchée par le musée pour l'authentifier, Ellen Cross, restauratrice de tableaux, ne se doute pas que cette mission la conduira à travers l'Europe, sur les traces d'un portrait du célèbre prince de Valachie, Vlad Tepes.
De Budapest à Istanbul, la jeune femme, rongée par une grave maladie, remonte la piste du tableau et plonge au cœur d'un conflit qui oppose depuis des siècles le premier des vampires et «l'Ombre du Dragon», un ordre secret qui rêve de donner le jour à une nouvelle lignée de créatures, libérée du joug de Dracula.
- Des graphismes et des cinématiques en Haute Définition
- Un système d'inventaire avec combinaisons d’objets
- De nombreuses énigmes à résoudre
- Ambiances sonores immersives et musiques originales envoutantes
- Jeu de type Point&Click avec technologie de vision à 360° dans chaque scène[1]
Dracula 4 est l'un des premiers projets « originaux » du studio de développement KOALABS, qui se consacrait auparavant au portage de vieux vidéogiciels d'aventure sur les systèmes d'exploitations modernes. Leurs portages étaient destinés d'abord aux appareils tactiles comme les téléphones et les tablettes, mais ils ont aussi rejoint les PC Windows pour des résultats à mon sens lamentables : champ de vision tronqué, graphismes floutés, nouvelle interface imprécise, lieux et énigmes supprimées[2]... Ils se sont occupés par exemple de Necronomicon, pour un résultat que j'ai décrit dans ma critique. Étrangement, aussi bien leurs travaux de portage que leurs Dracula 4 et Dracula 5 ne sont présentés sur leur site officiel (et ni même sur leur page Wikipédia)... Je ne suis pas sûr qu'ils soient très fiers de ces premiers travaux. Ils mettent en avant aujourd'hui leur contribution à la saga Syberia (les portages des épisodes 1 et 2 et le développement des 3 et 4) ainsi que leur production indépendante Luxar.
Pourtant Dracula 4 n'est pas honteux à mon sens. J'aime bien ses décors très soignés visuellement, particulièrement fins, détaillés. J'aime aussi cette histoire qui commence de façon très terre-à-terre pour un VG estampillé « Dracula » : une jeune femme travaille pour un musée de New York et cherche à retrouver une collection de tableaux ayant sombré dans un naufrage, après qu'on en ait retrouvé une des pièces à Budapest. On interroge la police hongroise, on étudie le profil de trafiquants d'art, on visite la demeure du propriétaire de la collection à Whitby... Tout commence de manière très banale, pas du tout fantastique ! Moi ça me rappelle beaucoup certains albums de Blake et Mortimer, qui avant de basculer dans la science-fiction font démarrer leur récit dans une réalité du quotidien. C'est à la fois chaleureux et excitant, cela pose les personnages dans leur cadre de tous les jours et génère un suspens de comment tout cela va basculer dans le surnaturel. Il y a un effet de réel très prenant, immersif.
Ellen Cross, l'héroïne, est une jeune femme charmante, une brune aux cheveux courts, style BCBG, avec du caractère et de la compétence à revendre. On la voit durant les cinématiques et aussi à l'occasion des dialogues avec les personnages secondaires ; sinon, Dracula 4 est fabriqué sur le modèle des pointer-cliquer à décors fixes vus en caméra subjective, on partage donc la vision d'Ellen et on ne voit pas son corps.
Le bât blesse sur plusieurs points très importants.
D'abord, Dracula 4 ne termine pas son histoire. C'est à peine s'il la commence ! À aucun moment on n'évoque l'ordre secret de l'Ombre du Dragon, qui est pourtant évoqué dans le synopsis et donne son sous-titre au vidéogiciel. Dracula lui-même ne fait aucune apparition et au point où l'on en est il est toujours bel et bien mort depuis des siècles. Le VG se termine alors qu'Ellen ramène à New York une toile représentant peut-être Dracula, que le propriétaire de la collection conservait enfermée dans une salle secrète souterraine. Aucun enjeu sérieux n'a été amorcé ; tout juste apprend-on que le professeur Varemby (qui possédait les tableaux avant de mourir) croyait en l'existence des vampires et attribuait à la toile représentant Dracula un mystérieux pouvoir. Si on était dans une série télé, on ne serait même pas rendu à la moitié de la saison, on aurait à peine terminé l'épisode 1...
Aujourd'hui ce n'est pas très grave puisque Dracula 5 est sorti depuis belle lurette et que les deux VG sont vendus ensemble[3]. Mais à l'époque de sa sortie, Dracula 4 n'a pas été présenté comme la première partie d'une histoire mais bien comme une aventure à part entière. D'ailleurs le synopsis est troublant ; c'est comme s'il avait été écrit avant que les développeurs ne décident de couper le vidéogiciel en deux pour le commercialiser.
Reste qu'il s'agit bien en soit d'un vidéogiciel indépendant et qu'à ce titre il est très court et très incomplet. Autant il y a des épisodes 1 de sagas cinématographiques qui sont satisfaisants en eux-mêmes, avec une histoire ayant un début, un milieu et une fin ; autant Dracula 4 ne donne pas ce sentiment. Le drame est suspendu avant d'avoir été lancé. J'ai beau trouvé beaucoup de charme à cette introduction, cela reste juste une introduction.
Ellen Cross a la particuliarité d'être en proie à une maladie mystérieuse, dont le drame est que les médicaments qui la soignent vont arrêter d'être produits ! Ellen se pense donc condamnée, mais comment diable est-il possible qu'un traitement arrête d'être fabriqué du jour au lendemain ? J'ai du mal à y croire et le sujet n'est pas développé... D'ailleurs, j'attends toujours de comprendre où ils veulent nous emmener avec cette histoire (est-ce que Ellen sera changée en vampire et survivra ainsi ?). Les développeurs ont tenté de faire vivre au public l'expérience d'Ellen avec sa maladie en intégrant une barre de vie qui diminue toute seule petit à petit, et qu'il faut remonter régulièrement en prenant des médicaments... En un mot : anecdotique. C'est aussi excitant que de prendre son antidépresseur une fois par jour. Ils ont bien tenté de nous donner trois types de médicaments et de nous laisser trouver les mélanges les plus efficaces, mais d'une part c'est inutile car le vidéogiciel est ultra permissif en terme de quantité de médicaments qu'on peut récupérer, et d'autre part, quel docteur ou pharmacien laisse son patient jouer au petit chimiste pour trouver le bon dosage ? Aucun sens. De plus au stade où elle en est, Ellen est censée bien connaître ses médicaments, donc si c'était à elle de déterminer la posologie elle l'aurait fait depuis longtemps...
Cela rejoint un autre problème du vidéogiciel : ses énigmes s'inscrivent mal dans son univers. Le moindre mécanisme s'apparente à un puzzle dont l'abstraction rappelle les mini-jeux pour smartphone.
Ils ont repris le moteur utilisé pour le portage de Necronomicon, donc même principe, on doit maintenir le clic droit pour faire tourner la caméra. J'ai choisi d'activer l'option pour que les éléments interactifs soient ornés de l'icône appropriée sans avoir besoin de les survoler avec le curseur. Mais l'interface manque beaucoup de fiabilité. Il m'est arrivé de bloquer parce que, arbitrairement, le système ne signalait pas d'interaction possible alors qu'il y en avait une, que ce soit pour effectuer une action ou utiliser un objet de l'inventaire. De fait, on est obligé de se prendre la tête à chercher des interactions non signalées : je déteste ça. La moindre des choses, le pacte tacite passé entre les développeurs et le public en début de récit, c'est de pouvoir compter sur la constance de l'interface mise en place qui te signale les interactions. Je donnerai des exemples dans la galerie d'images, mais je pense déjà au téléphone non signalé comme interactif peu avant de partir de Whitby, alors que c'est juste l'action nécessaire à ce moment de l'histoire...
Et puis il y a aussi des mauvais choix de game design sur certaines énigmes. Je pense au crochetage de serrure à Istanbul : où que tu cliques, sur le crochet ou sur le bois de la porte, tu entends un grincement. Il n'y a aucune différence en terme de retour sonore ou visuel que tu cliques en visant bien le crochet ou n'importe où à côté. Et pourtant, la vérité est qu'il faut bien cliquer précisément sur le crochet... L'interaction possible est cachée. Il faut positionner l'outil sur la bonne position parmi les cinq, pour qu'une action de glisser-déposer vers le bas à la souris abaisse le crochet. Mais le fait que le retour sonore soit le même en cliquant sur le crochet ou à côté ne permet pas de deviner que le crochet a une interaction particulière possible. C'est du très mauvais game design. Et tant que l'on ne trouve pas la bonne position de l'outil, on est frustré car le clic sur le bois osef a le même effet sonore que le clic sur le crochet, donc on ne peut même pas se dire « ah je dois chercher comment bouger le crochet »... Je me demande si ça a été testé. Et c'est d'autant plus lamentable vu la durée de l'aventure, très ramassée... Ils auraient au moins pu peaufiner le peu qu'ils ont livré sur le disque.
Je vais citer aussi le fait que Dracula 4 n'enclenchait pas de lui-même la synchronisation verticale sur mon Windows 7 64 bits. Beaucoup de screen tearing (déchirement de l'image) en conséquence. Forcer la fonctionnalité dans le panneau de contrôle de ma carte graphique Nvidia a résolu le problème... Je ne sais pas bien à quoi pensaient les développeurs.
En conclusion, je ne boude pas le plaisir que j'ai éprouvé à participer à ce prélude très engageant avec Ellen Cross, qui installe son histoire (a priori) fantastique dans un contexte réaliste et documenté qui m'évoque les albums de E.P. Jacobs. Mais je ne tais pas non plus les nombreuses frustrations liées à l'interface, pas fiable pour un sou, et aux énigmes, peu diégétiques et parfois absconses. Le fait (notoire) que l'histoire ne fait que commencer dans ce numéro 4 n'est plus un vrai problème en 2022 étant donné que le vidéogiciel est systématiquement commercialisé en bundle avec le numéo 5 – qui j'ose espérer développera ET concluera l'enquête d'Ellen.
Verdict = ok
Note(s)
- ^ Présentation officielle trouvée sur Amazon
- ^ À titre d'info, je comprends que KOALABS a réalisé ces portages pour le compte de l'éditeur MICROÏDS, qui a mandaté aussi un autre développeur, TETRAEDGE GAMES, qui n'a pas fait mieux et se servait du même moteur que KOALABS... D'où le partage de la même interface entre des portages comme Necronomicon et Dracula 2. Je ne serais pas surpris si le moteur appartenait à MICROÏDS et que ce dernier travaillait avec une armée de développeurs mercenaires pour réaliser des portages à bas coût afin d'exploiter commercialement de vieilles productions.
- ^ Voir GOG.com
Galerie d'images
Commentaires
Bonjour,
Je me permets juste de revenir sur une petite faute: il s'agit du Pr Vambéry et pas Varemby comme vous l'avez écrit plus haut :p
Votre critique est tout à fait juste, je trouve.
Belle journée enchanteresse :D