C'est quoi les vidéogiciels ?

Les films. La musique. Les livres. Le théâtre.

Autant de médias qui sont désignés par un terme qui se borne à définir le support, sans préjuger de ce que l’on va y trouver.

Le mot « theatron » en grec ancien désignait la scène ou le plateau[1]. On sait donc que l’on va observer quelque chose qui se jouera sur une scène. Ce quelque chose n’étant pas défini par le terme. On ne sait rien sur ce quelque chose, sinon qu’il se passera sur une scène.

Le mot « film » désigne la pellicule photographique sur laquelle on enregistrait autrefois les vidéos. Littéralement, on sait que l’on va regarder quelque chose enregistré sur un film, donc une vidéo. Cette vidéo peut être un film documentaire, un dessin animé Disney, un blockbuster chinois, un film d’auteur français. On peut être amené à rire, à apprendre, à s’identifier au personnage, à être ému, à être diverti, à avoir envie d’acheter un produit de consommation[2]. Le terme « film » ne préjuge pas de ce que l’on va y trouver, à part que ce sera une image en mouvement avec du son.

Le livre quant à lui, désigne un ensemble de pages reliées entre elles et contenant des signes destinés à être lus[3]. Une fois encore, aucune info sur le contenu. Livre de cuisine, livre de bord, roman, manuel d’apprentissage, essai… On sait juste que cela tiendra dans nos mains et qu’on devra lire des caractères.

Les jeux vidéo.

Tiens c’est curieux. Pour ce média on a une indication bien plus précise de ce qui va se passer.

Le jeu désigne un divertissement, une activité avec des règles, pouvant être exercé seul, ou en groupe, pour s’amuser[4]. S’amuser signifiant quant à lui se divertir par des choses agréables, faire perdre le temps, distraire, ou encore repaître de vaines promesses, de fausses espérances[5].

Contrairement aux autres médias, avec le terme « jeu vidéo » nous avons une idée assez précise de ce qu’il va se passer quand on le pratique. On sait qu’il va y avoir des règles et qu’on sera diverti par des choses agréables. Si on suit la définition on a même des raisons de penser que l’on va peut-être perdre son temps ! Voilà ce qu’il y a dans le terme « jeu vidéo ».

Je me pose deux questions : pourquoi pour les jeux vidéo, au contraire des films, des livres ou du théâtre, on préjugerait de la nature du contenu dans le terme qui les désigne ? Qu’est-ce qui lui vaudrait ce privilège (hum) ? Et aussi, est-ce que c’est juste de dire que tous les jeux vidéo relèvent d’une activité avec des règles qui nous divertit par des choses agréables ?

Est-ce qu’on peut parler de l’existence de règles dans des « jeux » comme Virginia, Layers of Fear, Gone Home, ou bien d’autres de la catégorie des « walking simulators[6] » ?

Est-ce que l’on peut dire qu’un Silent Hill, un Forbidden Siren, un Song of Horror ou encore un Velvet Assassin, nous divertissent par des choses agréables ? Quand au contraire ils génèrent à dessein des sensations de malaise, de peur, de découragement ou d’épouvante ?

Est-ce que le récent In Rays of the Light est une activité avec des règles qui divertit par des choses agréables ? Est-ce que Linger in Shadows, vendu sur le Playstation Store, ce « jeu » où l’on ne fait que bouger le cadre de la caméra en inclinant la manette, répond à un seul de ces critères ?

Pour moi la réponse est non à toutes ces questions. On peut tout à fait en débattre, mais je trouve incorrect voire injuste de regrouper tous les représentants de ce média dans le grand panier du « jeu vidéo » alors que, s’ils sont tous « vidéo » effectivement, ils sont loin de tous relever du « jeu » tel qu’on en a lu la définition plus haut.

Je trouve ça extrêmement réducteur pour les titres qui sont autre chose, justement. Un Death Stranding est classé comme jeu vidéo au même titre que Fortnite, mais si ce dernier colle parfaitement à la définition, un Death Stranding restera totalement incompris par ceux qui ne l’auront pas pratiqué, justement parce qu’il est contraint de partager l’étiquette « jeu vidéo » qui ne lui va pas du tout.

C’est comme si pour les films, le terme qu’on utilisait n’était pas films mais un autre qui désignerait les divertissements hollywoodiens façon Marvel, et que sous ce terme là on mettait tous les films, donc n’importe quel film serait considéré et envisagé comme un divertissement hollywoodien façon Marvel. Un film de Michael Haneke serait désigné de la même façon et sans le connaître, et sans être un connaisseur du cinéma, on pourrait penser que l’on va y trouver du divertissement à la Marvel, jusqu’à ce qu’on le pratique et qu’on réalise qu’en fait cela n’a rien à voir.

Moi j’aimerais qu’on désigne les jeux vidéo par un terme qui ne laisse pas présumer de l’expérience qu’ils proposent.

J’aime bien les films Marvel. Et j’aime bien les vrais, les purs jeux vidéo, ceux qui collent à la définition, comme Splitgate, un jeu de tir multijoueur à la première personne, ou comme Super Meat Boy. Mais les « jeux » sur lesquels je passe le plus de temps ne sont pas ceux-là. Ce ne sont pas ceux-là qui me font chavirer et qui me font écrire des tartines et des tartines sur mon ordi. Ceux-là sont principalement des produits qui sortent du cadre, des jeux vidéo qui ne correspondent pas ou mal au terme « jeu vidéo ». Et j’en ai marre de devoir utiliser un terme avec lequel je me sens constamment en décalage quand je parle d’œuvres auxquelles on ne rend pas justice en les désignant comme des jeux.

Voilà pourquoi j’ai inventé le terme « vidéogiciel ». Une combinaison de « vidéo » et de « logiciel » pour dire que c’est interactif. Un truc vidéo interactif, point. Le support de l’œuvre. Comme la pellicule pour les films. Comme le livre pour ce qu’on va lire.

Je ne cache pas qu’il y a là une réparation personnelle. J’ai souvent vu et entendu des personnes plus ou moins proches dénigrer les jeux vidéo, qui moi m’ont passionné à partir du moment où j’ai contrôlé Crash Bandicoot dans le vidéogiciel éponyme sorti sur Playstation en 1996. Et quand je parle à une nouvelle personne de ce que j’aime dans la vie, et que je dois dire les jeux vidéo, j’ai directement le sentiment de donner une fausse image de mes intérêts. Parce que justement je passe plus de temps sur les jeux vidéo qui ne sont pas des jeux, que sur les jeux vidéo qui en sont réellement ! Marre.

D’où ce site perso, videogiciels.fr. Born of frustration. Bienvenue !

P.S. : à propos de la notation dans mes critiques. J’ai un système très simple, avec un « verdict » à la fin de chaque texte, avec quatre appréciations possibles : dispensable, ok, vaut le coup ! et énormissime. Une seule appréciation négative donc, et trois autres où mon degré d’enthousiasme varie. Je me suis inspiré de l’ancien système de Télérama, que j’ai toujours trouvé pertinent (j’écris ce post-scriptum en 2023 et aujourd’hui Télérama a cinq appréciations distinctes, pour moi c’est trop).

 

Note(s)

  1. ^ Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre
  2. ^ Voir https://youtu.be/2zfqw8nhUwA
  3. ^ Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre
  4. ^ Source : https://fr.wiktionary.org/wiki/jeu
  5. ^ Source : https://fr.wiktionary.org/wiki/amuser
  6. ^ Catégorie mal nommée selon moi car loin d’être des vrais simulateurs de marche. Des vrais simulateurs de marche prendraient en compte des paramètres de la vraie vie, pour justement simuler la marche (poids, fatigue, équilibre… ce qu’on retrouve pour de bon dans DEATH STRANDING par exemple, qui n’est pas du tout qualifié de « walking simulator » par ailleurs !). En fait, ce sont des vidéogiciels où l’interactivité se limite souvent au déplacement du personnage, sans aucune « règle » contraignante. D’où le fait que je les cite en exemples comme des vidéogiciels sans règles.

Commentaires

1. Le mercredi 6 avril 2022, 13:16 par Tichatpotiche

Bonjour,

Je trouve ton site très joli esthétiquement parlant! J'adore ton écriture aussi simple et précise ♡
Tes articles sont superbement illustrés et ton humour, ta façon de raconter ne gâchent rien :3

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