The Legend of Spyro : The Eternal Night (PS2)

« Comment ne pas avoir envie de pulvériser la console, ou tout du moins la galette du jeu, lorsqu’on s’aperçoit qu’un simple double-saut ne s’effectue convenablement qu’une fois sur deux ? C’est ainsi que Spyro transforme souvent une simple phase de plate-forme en véritable calvaire. »

hiro, jeuxvideo.com, le 24 décembre 2007.

La nuit éternelle n’a pas été appréciée par la critique. Les deux arguments que j’ai retrouvés le plus souvent sont cette affaire de double saut disfonctionnel et la supposée grande difficulté du titre, jugée pointless (absurde, inutile) par IGN.

Après avoir fini le jeu et l’avoir pas mal apprécié, ça me donne envie de répondre ! Le premier argument est juste faux, le double saut fonctionne parfaitement mais demande de respecter un certain timing. En effet, là où dans beaucoup de jeux on peut effectuer le 2ème saut à n’importe quel moment du saut que ce soit dans la phase ascendante ou descendante, dans ce Spyro on ne peut l’effectuer que dans la phase ascendante. Spyro bat alors des ailes (il « papillonne » comme nommait cette action Spyro 2 en 1999) ce qui lui permet de prendre de la hauteur supplémentaire. Quand après avoir atteint l’apogée de son saut il retombe, je suppose qu’il n’a pas la force de se hisser à nouveau en l’air étant déjà entraîné par son propre poids. Cela me semble très logique mais les journalistes spécialisés ont aimé y voir un défaut de conception. Personnellement je trouve ça bien plus gênant quand les personnages de jeux vidéo ont des double sauts « magiques » comme Kratos de God of War qui semble reprendre de l’élan sur une plate-forme invisible quand il double saute. Bref…

Le deuxième argument concerne la difficulté du jeu. En supposant qu’ils aient raison et que le jeu soit particulièrement difficile, je ne vois pas en quoi une importante difficulté – qu’on pourrait aussi nommer résistance du jeu – devrait avoir une justification. Pourquoi Spyro serait moins légitime dans sa résistance au joueur que Super Meat Boy, jeu de plate-formes acclamé pour la virilité de son challenge ? Est-ce parcequ’il semble s’adresser à de jeunes joueurs ? Mais à ce moment-là, pourquoi les jeunes joueurs n’auraient pas le droit eux aussi à un challenge velu ? En tant que jeune adulte, je suis au contraire ravi qu’un jeu comme Spyro, à l’univers a priori enfantin, me résiste un minimum.

Je fais une petite aparté pour ajouter de grosses guillemets à « a priori ». Si les premiers Spyro étaient enfantins par leurs formes toutes simples, leurs personnages unidimensionnels et leurs couleurs criardes, la nuit éternelle, deuxième volet de la trilogie la légende de Spyro, s’affranchit de cet héritage en proposant un univers et des personnages étandus qui s’inspirent beaucoup du genre de la fantasy et notamment du seigneur des anneaux. On garde la retenue dans la violence et la noirceur propre aux oeuvres destinées à un jeune public, mais on gagne de la gravité dans le ton, des dialogues nombreux, des personnages troublés, une bande-son avec beaucoup de choeurs… Spyro a laissé son innocence dans les années 90 et revient maintenant sous une forme qui le rend je pense plus accessible à un public de 7 à 77 ans, le jeu ayant marqué de nouveaux bambins (à voir dans les commentaires youtube des musiques du jeu) tout en intéressant les adultes pas réfractaires à un ton bon enfant. J’ai rejoué au tout premier jeu Spyro de 98 et c’est sûr que dramatiquement je dois m’accrocher pour tenir, tellement on nage dans un univers simpliste à peine esquissé par de grosses formes cubiques et des couleurs primaires. Pour le joueur que je suis aujourd’hui, cette profondeur (et pas « noirceur » comme je lis souvent, comme si la complexité c’était sombre !) ajoutée par la nouvelle trilogie légende de spyro elle est bienvenue. On n’est pas dans Mario et c’est tant mieux.

La nuit éternelle est une suite à peu de moyens au nouveau commencement (a new beginning, commenté ici). On a donné une petite somme d’argent à Krome Studios pour qu’is fassent un deuxième volet et ils se sont exécutés comme ils ont pu, c’est-à-dire en recyclant beaucoup, en négligeant la finition, en baclant les cinématiques et en concentrant heureusement leurs efforts sur le level design, c’est-à-dire la conception des épreuves soumises au joueur qui incarne Spyro.

J’ai été très agréablement surpris par l’audace et la résistance de certaines séquences de plate-forme (terme fourre-tout pour dire qu’on doit « sauter sur des trucs ») qui ne laissent qu’une marge d’erreur assez faible au joueur de par le timing requis ou la précision demandée. Souvent Spyro devra sauter sur des éléments du décor qui sont à peine plus larges que lui et enchaîner en plus quasi immédiatement sur un autre saut aussi juste ! Par rapport au nouveau commencement, je me suis senti bien plus stimulé par les épreuves de plate-formes et ça a été un plaisir de les relever.

Malheureusement cette audace aurait pu aller bien plus loin et le jeu est encore bien trop avare en séquences propices à provoquer des crises de nerfs. Le contrôle de Spyro lors des sauts permet en effet une rigueur peu commune dans les jeux de plate-forme en trois dimensions. On presse croix pour sauter et on presse une nouvelle fois pour planer (ou d’abord papillonner). Ce qu’il faut noter c’est que ce mouvement est tout à fait indépendant de notre déplacement sur le plan horizontal. C’est-à-dire que pour planer en avant, il faudra aussi incliner le stick de déplacement en avant. Si on ne le fait pas, Spyro va simplement battre des ailes pour atterrir en douceur sur le point juste en dessous de lui.

Ce qui est encore plus fort, c’est qu’on peut interrompre notre avancée en planant à tout moment en lâchant le stick de déplacement pour atterrir juste en-dessous de là où on est à ce moment. L’ombre projetetée de Spyro permet de déterminer avec précision sa position par rapport aux surfaces en-dessous de lui. Dans Spyro 1 c’était différent : quand on planait on n’avait pas le contrôle de quand on s’arrêtait, on planait jusqu’à ce qu’on atterrisse devant nous, comme un deltaplane. Ici, le contrôle maintenu en l’air couplé à l’ombre projetée de Spyro en-dessous de lui permettent une précision redoutable dans les sauts et ouvrent la porte à des épreuvres plus effrayantes les unes que les autres… Mais dont on ne verra malheureusement jamais la couleur. Il fallait cependant saluer cette conception prometteuse (ce « game design »).

Les cinématiques ont été bâclées : celles en images de synthèse façon Pixar sont tellement compressées que le rendu est plus moche que celui du jeu, tandis que d’autres se limitent à des plans fixes sur des parchemins sur lesquels sont dessinés sommairement les événements que l’on veut nous raconter. Sans voix, juste avec de la musique. Parfois ce type de cinématiques remplace ce qu’on aurait pu voir avec le rendu du jeu, comme Spyro qui se fait assomer… Je soupçonne que Krome Studios n’avait pas les ressources pour créer de nouvelles animations aux personnages et qu’ainsi une simple scène de dragon assomé devait passer par une cinématique… Ce qui nous amène au point suivant, le recyclage.

Je ne pense pas avoir vu une seule animation de Spyro dans le jeu qui n’existait pas dans le premier volet. Spyro n’a d’ailleurs aucun mouvement supplémentaire dans cette suite, si ce n’est le temps du dragon, qui ralentit le temps. Un filtre flou sur l’écran et le tour est joué. La police de caractères dans les menus est identique, beaucoup d’ennemis sont réutilisés, le moteur graphique est le même donc le rendu est très similaire… Krome s’est vraiment contenté de créer de nouveaux décors et même là on sent la bourse qui crie famine, avec plusieurs niveaux dans le même monde, avec les mêmes accessoires dans le décor mais agencés différemment…

Ce qui fait mal aussi c’est quand Spyro atteint la fin d’un environnement, que l’écran de chargement coupe net l’action et qu’on retrouve notre dragon dans un décor qui n’a rien à voir et surtout sans pouvoir identifier par où a-t-il bien pu passer. De plus, il arrive qu’au terme d’une cinématique « temps réel » (c’est-à-dire avec le rendu du jeu) on reprend Spyro à l’endroit où on était mais pas à l’endroit où il était dans la cinématique… La présentation du jeu fait un peu bâclée.

Les combats sont une composante majeure de cette nuit éternelle. Identiques à ceux du premier volet, à l’exception significative de l’utilisation du ralenti, le « temps du dragon ». On appuie sur L1 et le temps s’écoule plus lentement pour nous et surtout pour les ennemis, ce qui permet d’éviter leurs attaques et de leur en faire manger d’autant plus. L’utilisation de ce pouvoir est limité par un sablier qui une fois vidé se reremplit tout seul petit à petit. Les compétences de Spyro consistent toujours en un enchaînement de coup de pattes et de griffes sur terre et dans les airs, un coup pour envoyer les ennemis en l’air, un coup en l’air pour les expulser tel un boulet de canon, quatre souffles feu terre glace éclair, la touche L2 pour tourner autour d’un ennemi et pouvoir esquiver sur les côtés avec croix, une attache spéciale pour chaque souffle et une super attaque de furie qui nécessite d’être alimentée par des cristaux roses pour être disponible.

La même chose que dans le premier volet donc, avec des variations sur les souffles, le temps du dragon et des batailles à la difficulté bien plus audacieuse. En effet Spyro se retrouve souvent à devoir combattre des vagues d’ennemis énormes et très nombreuses qui demandent une sérieuse gestion de la foule (« crowd control ») pour ne pas être submergé sous les coups et l’exploitation des souffles à bon escient.

Ces combats sont assez enthousiasmants parce que durs, tendus et dynamiques. Spyro doit se déplacer constamment et sauter pour éviter les coups et autres ondes de choc lancés par les marées d’adversaires. Il virevolte dans le champ de bataille en sautant, en envoyant un ennemi en l’air pour le bastonner et l’envoyer tel un boulet de canon sur les autres ; il brûle ses ennemis en les pourchassant pour les faire fuir et retrouver un peu de sa nature de prédateur ; il fait le ménage autour de lui avec un fléau magique du pouvoir de la terre, envoie les ennemis dans le ciel pour qu’ils retombent en s’étalant comme des crèpes grâce à des explosions électriques… Tout en devant survivre aussi longtemps qu’il y a d’ennemis car s’il meurt, il recommencera au tout début du combat.

L’écueil principal de ces combats est qu’ils deviennent trop simples avec la combinaison souffle terre et temps du dragon. Outre le fléau magique, le souffle terre permet de donner des coups très puissants aussi rapidement que l’on appuie sur la touche carré… Si on combine cela au ralenti, n’importe quel ennemi devient une proie extrêmement simple à mettre à terre. Alors certes, cela marche seulement pour un ennemi et le temps d’un sablier de ralenti, mais ça annihile la menace que représente les plus gros ennemis qui rejoignent régulièrement le combat en nombre très limité. De plus, le fléau magique du souffle terre, si on le fait évoluer (car oui on peut faire évoluer ses souffles grâce aux cristaux d’expérience bleus que lâchent les ennemis) devient trop puissant. A la fin du jeu, on a beau être entouré par dix ennemis, on fait tourner le fléau une fois, ça consomme un dixième de notre barre de magie (l’utilisation de nos souffles consomme cette barre, mais chaque ennemi tué la reremplit à fond…) et tout le monde meurt autour. Cela simplifie bien trop les combats.

Ces problèmes sont ce que je retiens de pire pour les combats, car autrement ils sont franchement engageants et plaisants à relever, autant par l’intérêt des souffles que par le challenge que les immenses vagues d’ennemis représente. Krome Studios a une fois encore osé briser un peu les barrières de la difficulté tout public et je leur en sais gré. Il faut cependant relativiser : la résistance générale du jeu est de toute façon très relative puisque si on meurt, que ce soit d’une chute ou dans un combat, on recommencera toujours juste avant. Les épreuves sont ainsi d’une difficulté à court terme et on n’a pas à gérer un nombre de vies pour ressusciter ou quoique ce soit. Le jeu est quand même très sympa avec son joueur ; on avance sur une ligne droite jalonnée d’épreuves et à chacune d’entre elle réussie notre progression est enregistrée. Pire même (si l’on veut), l’expérience acquise dans un combat se soldant par la mort de Spyro reste acquise quand on recommence, tout comme le niveau de la jauge de la super attaque de furie (qui détruit tout à l’écran). Nous n’avons pas affaire à un jeu impitoyable, du tout.

En parlant de ligne droite, Spyro évolue dans un environnement 3D assez étroit et dans un sens moins crédible que dans les premiers Spyro des années 90. Je m’explique. Il existe une grande grande problématique des jeux de plate-force censés se dérouler dans un univers qui « existe » : faire des épreuves de plate-forme sans pour autant avoir l’impression que les « plate-formes » que l’on peut atteindre ne soient positionnées là que pour nous joueur, qu’elles ne fassent pas sens dans l’architecture du décor en question. Bien souvent, je n’ai pas l’impression de trouver « mon » chemin dans un décor qui existe pour lui-même mais de suivre un chemin créé pour moi joueur dans un décor créé pour l’enrober. Le résultat est que je ne crois pas à l’univers. Spyro la nuit éternelle tombe dans cet écueil à fond les ballons. Branches mises là exprès pour choper la plume secrète, bateaux volants qui viennent nous chercher quand on a battu tous les ennemis (pourquoi ?), planches qui dépassent qui n’étaient pas là sur les autres bateaux (voir photo)…

Ce n’est même pas une problématique spécifique aux jeux de plate-forme en fait, car même dans la simple progression de Spyro, le parcours en ligne droite peine considérablement à représenter un univers. C’est un symptôme qu’on retrouve dans la plupart des jeux d’action récents comme The Last of Us ou Dog Days, dans lequel le seul chemin accessible pour traverser la ville nous amène directement à l’appartement du héros…

La direction artistique du jeu a elle aussi été baclée par instants, avec tout un chapitre se déroulant sur une flotte de bataux pirates volants enflammés, sur lesquels on fait des combats de gladiateurs pour un gros chien muet dirigé par deux hiboux pirates borgnes ! Jackpot de l’inspiration série Z. Au contraire, d’autres niveaux dessinent un univers sombre et onirique, avec des cavernes la nuit ouvertes sur une mer surplombée d’aurores boréales… L’environnement dans lequel Spyro va régulièrement en rêve apprendre de nouveaux souffles est lui aussi dans cette veine : nocture, fait de multiples objets d’architectures disposés n’importe comment en suspension dans l’air, des îles flottantes et une petite musique douce qui donne un aspect ouaté, cotonneux, confortable à ces séquences.

La nuit éternelle a le bon goût de s’achever par son meilleur chapitre aussi bien artistiquement qu’en terme d’intérêt du challenge. Spyro doit traverser des grottes élémentaires qui ne l’autorisent à utiliser qu’un seul souffle, ce qui oblige à les maîtriser tous et prévient l’utilisation intempestive du fléau magique surpuissant. L’histoire se conclue sur une note mélancolique, avec Spyro et Cynder sauvés de justesse mais emprisonnés et endormis pour une durée que le narrateur laisse indéterminée, avec une touche d’espoir. Puis le générique se lance avec la chanson This Broken Soul des compositeurs Rebecca Kneubuhl et Gabriel Mann et alors je n’ai pas regretté d’être allé jusqu’au bout de ce voyage.

Verdict = vaut le coup !

 

Galerie d'images

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Ces branches font à peine la largeur de Spyro et s’affaissent à peine s’est-on posé dessus… Du challenge sympa.
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Le problème de ces méduses volantes est qu’on ne voit pas bien les limites de leur surface plane.
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Une flotte de bateaux de chiens pirates volants dans le ciel… EN FEU. Qui dit mieux ?
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Un exemple d’architecture abstraite : cette série de planches ne se trouve que sur un seul bateau, sur un seul flanc ; bien sûr c’est le chemin de Spyro.
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La modélisation de Spyro n'a pas pris une ride en huit ans.
12.jpg, nov. 2021
La bonne vieille série de petites plate-formes flottantes impitoyables, ce plaisir coupable B)
13.png, nov. 2021
L’ombre projetée de Spyro a, au moins en théorie, un rôle crucial pour les sauts complexes.
14.png, nov. 2021
Les ennemis peuvent générer une onde de choc qu’il faut éviter en sautant.
15.jpg, nov. 2021
De jolis panoramas sombres et oniriques pour « la nuit éternelle ».
150621-1612-41-Personnalisé.jpg, nov. 2021
Spyro est mignon et laisse des petites traces de pattes de dragon sur le sol.
16.png, nov. 2021
On peut s’arrêter de planer à tout instant et atterrir doucement en lâchant le stick gauche.

 

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