Get Even (PS4)
Par Pierre Compignie le jeudi 9 septembre 2021, 12:18 - Archives
2020.
L’échec narratif.
Ça commençait pourtant bien. Get Even nous plonge tout de suite dans l’action, en vue subjective dans la peau d’un type dont on n’a pas vu le corps mais qui parle (oui, oui) avec une grosse voix. Suréquipé (pistolet à silencieux, téléphone high-tech qui détecte les traces d’ADN et qui est relié à une base de données ouf, CornerGun – un fusil du futur proche qui permet de tirer dans les angles en restant à couvert), on est là pour sauver une pauvre ado victime d’un kidnapping crapuleux. Les quelques ennemis sur notre chemin sont des ex-militaires. On aborde une espèce d’entrepôt désaffecté alors que le ciel est couvert. A l’intérieur, l’état de la bâtisse délabrée, la pénombre, le silence, les traces de sang et la musique oppressante construisent une ambiance originale de thriller à la lisière de l’horreur. J’ai beaucoup aimé ce mélange ultra prometteur qui n’est pas sans rappeler Condemned (où la traque d’un tueur en série se mariait à une atmosphère de fin du monde). On poursuit des criminels mais on craint de trouver quelque chose de pire dans cette baraque.
On finit par arriver jusqu’à la fille, Grace, qui révèle, malheur, une bombe attachée à la poitrine… On essaye de la désamorcer et elle explose. Boum. Et là le bon jeu se termine pour laisser place au navet cumulant les pires tares de la narration de jeu vidéo.
A partir de là donc, on ne joue plus l’histoire mais à la place on joue pour en voir des bribes. Ce qu’on joue n’a plus d’intérêt : grâce à un prétexte SF de casque de réalité virtuelle qui lit dans notre cerveau, on se balade dans des simulations de souvenirs dont les enjeux interactifs sont abstraits (les ennemis sont censés être la mémoire qui résiste…) pour assister comme spectateur à des scènes d’exposition doublées mais non animées (les personnages sont fixes). Donc je reformule, on joue des actions abstraites pour assister à des dioramas afin de in fine comprendre ce qui s’est déroulé avant le jeu.
Je pense qu’il y a là une grosse incompréhension sur ce qu’est une bonne narration dans un jeu vidéo. Pour moi la narration dans un jeu vidéo ce n’est pas écouter des gens parler, ce n’est pas regarder des gens faire quelque chose, ce ne sont pas des dioramas, ce ne sont pas des documents, ce ne sont pas des audiologs… Une bonne narration dans un jeu vidéo ce sont les enjeux, c’est qu’on doit faire, nous joueur dans la peau du personnage. Il faut qu’on vive l’histoire, qu’on l’expérimente, qu’on la ressente, à travers l’interactivité. Pour le cinéma, il y a le dicton show, don’t tell ; pour le jeu vidéo ce devrait être make play, don’t show, don’t tell.
Ce que nous fait principalement jouer Get Even c’est : ramasser des documents par dizaine, tuer des ennemis virtuels dont on ne sait vraiment pourquoi ils sont là et avancer jusqu’au prochain diorama devant lequel on restera passif… Vous voyez où je veux en venir ?
C’est bien pour ça que j’ai trouvé le premier chapitre super, on était bien dans l’action. On devait sauver Grace, on affrontait des méchants concrets, on se déplaçait dans un vrai lieu, flippant, dans lequel Cole Black avait une bonne raison d’être…
La suite de l’aventure c’est comme un mauvais jeu d’enquête ; où les ressorts du challenge interactif ne sont pas liés du tout à l’enjeu narratif qui est la compréhension du passé.
Bon, et à côté de ça, rien ne tient debout. Le fonctionnement du casque de réalité virtuelle – Pandora – ne tient sur aucune logique interne et se révèle totalement arbitraire ; c’est du Ta Gueule C’est Magique en permanence. Vers la fin du jeu les incohérences, les twists sortis du chapeau, les fins abruptes de storylines et les questions sans réponses se multiplient (des persos morts se retrouvent vivants sans explication et vice versa). Globalement tous les protagonistes sont des pourris avec lesquels le scénario a bien du mal à nous mettre en empathie, ce malgré les violons outrageusement dégoulinants du compositeur Oliver Derivière ici en roue libre. Tout cela est dommage car les thèmes abordés – l’adultère, la place du père dans la famille, la vocation professionnelle – sont forts en soit et s’adressent bien à des joueurs matures et exigeants.
En l’état, même la vérité révélée n’a rien de satisfaisant. J’aime cependant bien comment la toute fin du jeu justifie le fait que ce soit Grace sur la jaquette du jeu, ce que je voyais comme du marketing mensonger au début ; c’est parce qu’en fait c’est elle porte qui le casque virtuel depuis le début LOL !
Verdict = dispensable