F.E.A.R. 3 (PC)
Par Pierre Compignie le jeudi 9 septembre 2021, 13:57 - Archives
Je ne vais pas tourner autour du pot, j’ai trouvé ce jeu abominable. Je crois que c’est un de ces jeux de la génération précédente (j’ai mal en écrivant cela tellement ça semble fou et pas bon – l’âge d’or des PS360 n’est pour moi jamais survenu, on n’a pas connu de moment où des sorties de jeux convaincants, même moyens, étaient devenues la règle) qui n’ont connu ni succès critique, ni succès commercial, sans pour autant recevoir l’opprobre comme un Quantum Theory. Un jeu qui n’a pas fait de bruit, en bien comme en mal.
C’est la conclusion développée par Day 1 Studio de la trilogie F.E.A.R. initiée et poursuivie par Monolith. Les deux premiers jeux mettaient respectivement le joueur dans la peau d’un individu sans nom (maintenant appelé Point Man) et du sergent Michael Becket. Tous les deux étaient muets et sans visage, c’est-à-dire qu’on ne voyait jamais leurs traits ; aucune cinématique et des miroirs cassés dans les toilettes ou qui ne réfléchissaient rien.
L’histoire de la série est très obscure. Le premier épisode avec Point Man nous fait vivre le début d’une sorte de crise paranormale à grande échelle, avec des méchants soldats contrôlés par la pensée d’un cerveau malade, Paxton Fettel, servant une petite fille morte encore plus méchante nommée Alma (archétype du fantôme asiatique, longs cheveux noirs qui recouvrent le visage) apparaissant de temps à autre devant les yeux du héros (pour nous faire peur mais ça n’a jamais marché sur moi, sauf pour les deux jump scares du jeu où elle apparaît tout à coup en gros plan). On découvre la force paranormale des méchants, que ce soit Alma ou Fettel, qui laissent des bains de sang de gentils soldats dans leur sillage : car oui, ils sont capables de faire exploser littéralement les gens.
L’aventure était glauque et intimiste, mais surtout ennuyeuse et interminable, avec des phénomènes jamais expliqués. On baignait dans le Ta Gueule C’est Magique, en arpentant des bureaux plongés dans l’obscurité avec une torche temporaire qui se rechargeait avec le temps et en affrontant des soldats dans des scènes d’action OSEF dans lesquelles on perdait de vue la dimension fantastique du récit. Mais les quelques scènes à l’extérieur laissaient entrevoir une ville morte, déserte, silencieuse, sans vraiment de raison et ça c’était inquiétant. C’est ce que réussit le mieux Monolith, mais ce qui n’est alors qu’une ébauche dans F.E.A.R. aboutit dans leur jeu Condemned Criminal Origins où la déliquescence de la réalité, le fantastique cauchemardesque qui envahit le réel devient le sujet central et c’était très réussi.
Mais revenons à F.E.A.R. : l’aventure se conclue par une explosion nucléaire provoquée par le Point Man destinée à détruire Alma (ou son esprit ? A-t-elle une enveloppe corporelle malgré le fait qu’elle soit morte ? Allez savoir). Qui s’avère être un échec, mais qui ravage la ville bien comme il faut.
F.E.A.R. 2 nous met dans la peau du sergent Becket, un énième « preneur d’ordres » muet qui a pour première mission de sauver Geneviève Aristide, méchante qui a aidé à créer les méchants Alma et Paxton Fettel, ainsi que le Point Man. Ah oui, j’oubliais : Point Man et Fettel sont les fils d’Alma, ils sont donc frères, mais ça n’empêche pas Point Man de le tuer à la fin de F.E.A.R. 1. Tout va bien.
Becket et son équipe, lentement mais sûrement mise en pièce par des forces contre lesquelles ils ne peuvent rien (Alma est toute puissante et omnisciente) vont finalement chercher à détruire Alma. Le sergent Becket étant lui-même une création de Aristide, il est puissant mentalement, et connecté à un amplificateur de pouvoir psychique, sa Collègue Qui Lui Dit Toujours Quoi Faire (©) pense qu’il pourra vaincre Alma dans un duel de télépathes. Mais à la fin de F.E.A.R. 2, alors que Becket est dans la machine prêt à en découdre, Aristide débarque et débranche l’amplificateur avant de tuer la collègue sympa de Becket (qui a la voix de Sydney Bristow en VF). Becket se retrouve enfermé dans la machine sans super pouvoirs et se fait littéralement violer par Alma, qui est maintenant enceinte. Fin de l’épisode 2.
F.E.A.R. 3 retrouve Point Man et le fantôme de Fettel, curieusement amical et curieusement… fantôme ? Autre élément qui choque, le Point Man apparaît dorénavant dans des cinématiques mettant son corps en scène, mais… il est toujours muet. Pourquoi ? Je ne sais pas. On découvre donc l’apparence du Point Man, un grand barbu chevelu mutique, et on reprend très vite des nouvelles de la Collègue Du Héros Qui Lui Dit Quoi Faire, différente de celle de F.E.A.R. 2 évidemment (quoiqu’au point où on en est ça pourrait très bien être son fantôme), mais bien la même que dans F.E.A.R. 1 : c’est la gentille Jin Sun Kwon, qu’on va passer la moitié du jeu à chercher à rejoindre.
Parce que l’histoire de F.E.A.R. 3 c’est : alors que le ciel est rouge et que l’apocalypse gronde, Point Man doit rejoindre Jin. Ensuite, il doit rejoindre Becket parce que Jin lui a dit qu’il a des infos importantes pour stopper Alma. Ensuite, Becket – qui maintenant parle ! – révèle que ce qu’il y a dans le ventre d’Alma c’est pas bon pour l’humanité. Ensuite, Point Man retourne dans le lieu où il a grandi comme un cobaye et affronte son père transformé en monstre géant à la Godzilla. Il gagne. Il retrouve Alma comme par magie, assiste à son accouchement, recueille son bébé, la regarde se dissoudre comme les monstres tués de Prince of Persia Les Sables du Temps, puis marche vers la lumière tout prêt à embrasser son nouveau rôle de papa poule. Merci, générique.
Ça c’est un résumé de l’histoire pathétique de F.E.A.R. 3. Ce qui l’est encore plus c’est que les niveaux concrets du jeu n’ont rien à voir avec la choucroute : on traverse des docks, des magasins, des appartements, sans savoir pourquoi, juste parce que les développeurs ont décidé de faire du level design arbitraire et de lancer les cinématiques où il se passe un truc entre ces niveaux déconnectés de toute logique géographique et de pertinence par rapport au caractère fantastique de l’histoire racontée.
Parce qu’on nous met quand même dans un univers où le ciel est rouge et où la fin du monde est proche. Il n’y avait pas plus intéressant à nous proposer que de traverser des décors génériques (bidonvilles, magasins, banlieue…) en affrontant des militaires ? Je sais pas, le troisième volet aurait pu être l’occasion de donner une explication à tous ces phénomènes paranormaux. Même bancale. Donner une logique, un sens à tout ça. Pourquoi pas faire intervenir une nouvelle organisation qui se cache sous terre, qui comprend ce qui se passe et qui sait comment y mettre un terme ? Mince, j’aurais même pas dit non à des extra-terrestres si ça avait pu m’épargner les bidonvilles et les centaines de bidasses assassinés. Pour moi F.E.A.R. 3 est un gâchis monumental en terme d’écriture de l’aventure. Même le deuxième épisode, qui ne volait pas haut, nous faisait visiter des environnements liés à la mythologie de la série. Un laboratoire caché sous une école, les locaux souterrains du projet maudit, les gratte ciels où réside Aristide…
En fait, ce traitement par-dessus la jambe de l’histoire tend à faire de F.E.A.R. 3 un pur jeu d’action abstrait, voire de score. Car les règles du jeu vont dans ce sens.
Il faut dire tout d’abord que quand on joue tout seul, on voit qu’il manque un joueur. Car F.E.A.R. 3 peut être joué à deux, le deuxième joueur incarnant alors Fettel en coopération. Mais une coopération… compétitive : on se bat pour faire les meilleures performances. En mode solo, à chaque fin de chapitre on a un tableau à deux colonnes dont la deuxième est vide et on gagne la mention « fils préféré » (d’Alma) simplement parce que personne n’a incarné Fettel. A la fin du jeu – certes c’est anecdotique – dans une cinématique les deux frères s’affrontent et c’est le total des points d’XP dans les quatre différents groupes de défis d’XP qui détermine l’issue du combat, celui qu’Alma décide d’aider. A un joueur, comme Fettel n’a aucun point, on gagne comme par forfait.
Parlons de ces fameux défis d’XP. Il y en a une tonne, tous se réinitialisant à chaque chapitre et pouvant ainsi être validés autant de fois qu’on joue un niveau. Les points d’XP permettent de passer des niveaux, qui nous octroient une évolution des capacités du personnage : plus de santé, plus de mode ralenti, plus de munitions dans les chargeurs, du très logique comme d’habitude. Dans un niveau, dès qu’on fait une action faisant partie d’un défi (par exemple le premier des cinq tués pour le défi cinq tués au corps à corps), le défi s’affiche un moment à l’écran et on peut consulter sa progression ainsi que celle de tous les autres défis « démarrés » en appuyant sur la touche SELECT ou BACK pour la manette 360 avec laquelle j’ai joué sur PC. Une autre façon de gagner de l’expérience est de trouver une poupée à l’effigie d’Alma dans chaque niveau (oui c’est très logique…) et plus régulièrement des cadavres par terre avec lesquels on peut « établir un lien psychique » pour recevoir 1500 points.
Ce que ça a produit sur moi est intéressant, et je ne m’en suis rendu compte qu’en jouant à Spyro A New Beginning ce matin sur PS2. F.E.A.R. 3 est fondamentalement un jeu frustrant et pas gratifiant. Dans Spyro je réussis un combat, je passe une salle, je suis content, j’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose. Dans F.E.A.R. 3, je tue tous les ennemis d’une arène, je passe une salle, j’ai en tête tout ce que j’aurais pu faire et n’ai pas fait pour avoir un peu plus d’XP. Oui j’ai gagné la salle, mais ce défi des 20 tués avec le petit pistolet, là ? Au point mort ! Et si je n’avais pas bien exploré et raté un cadavre psychique ? 1500 points perdus ! Ah, elle est belle la victoire ! Et ce défi de tuer trois ennemis au corps à corps en un seul ralenti ? Toujours pas fait, si ça continue les points vont me passer sous le nez…
Vous me suivez ? F.E.A.R. 3 réussit cet exploit de transformer ce qui devrait être une réussite en un échec. Comme il est impossible de réussir tous les défis dans un niveau, il y a toujours une dimension de défaite présente dans l’expérience. Vous allez peut-être me dire que c’est moi, qu’il est possible de négliger, de ne pas faire attention à ces défis, ce à quoi je vais répondre deux choses. Premièrement, ils sont omniprésents à l’écran, c’est un fait. On est rappelé régulièrement qu’on est qu’à 1/25 du défi B, donc on s’active un peu, hein ! Et deuxièmement, les améliorations apportées par le changement de niveau sont alléchantes, surtout pour le ralenti dont la durée très courte est toujours frustrante. S’il y a des joueurs qui arrivent à passer outre, sincèrement tant mieux pour eux. Mais je pense qu’il est assez juste de dire que les développeurs ont tout fait pour qu’on en ait quelque chose à fiche – et c’est encore plus vrai en mode coopératif puisqu’on doit être meilleur que l’autre joueur et donc réussir plus de défis que lui.
A son cœur, F.E.A.R. 3 est un FPS générique et médiocre de sa génération. Son level design est bourrin et simpliste dans le sens où on est toujours à combattre des soldats dans une salle avec des couvertures de partout, on met constamment en œuvre les mêmes compétences basiques, aucune architecture ou situation particulière (à part des gros ennemis trop résistants qui traversent les murs et ressortent par un autre mur vers la fin du jeu) ne vient nous demander de nous adapter, d’être créatif, de réfléchir à une nouvelle stratégie, d’être particulièrement doué à la visée… Le jeu est facile et bête.
Les règles du jeu sont les mêmes que dans tous les jeux de son époque. L’écran se tartine de confiture quand on est touché, très plaisant, on s’auto-régénère après s’être fait trouer la peau, on peut se mettre à couvert façon Killzone 2, le réticule au centre de l’écran s’écarte très vite en tirant en automatique donc on passe à la mire métallique par laquelle on ne comprend plus rien à l’action… On ne peut porter que deux armes à la fois mais plusieurs types de grenades, et on peut activer un ralenti temporaire, marque de fabrique des F.E.A.R. La seule originalité ce sont les attaques de mêlée, notamment le coup de pied sauté et le coup de pied glissé, particulièrement puissant. Et bien sûr, comme à cette époque on s’était aperçu que les retours au joueur sur les impacts n’étaient pas lisibles dans les premiers Call of Duty modernes, les développeurs ont soigné les impacts, autant sur les murs que les ennemis… Non je plaisante, en fait ils ont juste mis une petite croix sur le réticule à chaque tir réussi comme tout le monde avant eux.
Le comble est que les développeurs ont embauché John Carpenter en tant que consultant créatif… Je me demande où ses compétences sont passé.
Verdict = dispensable
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